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Imposer une cession pour sauver une entreprise : le retour de la loi Florange?

Une cession forcée du capital en cas de redressement judiciaire : c'est ce que prévoit une disposition de la loi Macron afin de permettre de sauver l'activité et l'emploi d'une société contre la volonté des actionnaires. Reste à savoir si ce texte pourra passer le cap du Conseil constitutionnel.

Imposer une cession pour sauver une entreprise : le retour de la loi Florange?

Comment éviter la fermeture d’une entreprise décidée par ses actionnaires alors qu’elle pourrait poursuivre son activité et maintenir ses emplois ? Cette question a été soulevée par les élus du personnel confrontés, lors de nombreux conflits sociaux (ArcelorMittal, Molex, Fralib, Pilpa, etc.), aux conséquences désastreuses en matière d’emploi des stratégies des multinationales.
Le gouvernement socialiste a tenté d’y apporter un début de réponse en février 2014 avec la loi dite Florange. Ce texte impose à un employeur, pour les entreprises d’au moins 1000 salariés, la recherche d’un repreneur lorsque la fermeture de l’établissement entraîne un projet de licenciement collectif et il donne certains moyens aux comités d’entreprise à cette occasion.

La censure du Conseil constitutionnel

Mais la véritable disposition choc prévue par le texte, et défendue par le député désormais frondeur Jean-Marc Germain, a été censurée par le Conseil constitutionnel. La loi conférait au tribunal de commerce le pouvoir d’étudier le caractère « sérieux » des offres de reprise mais aussi d’infliger au propriétaire, en l’absence d’un refus légitime de cession, une pénalité allant jusqu’à 20 Smic par emploi. Même si le texte ne conférait donc pas le pouvoir au tribunal de commerce d’imposer une cession, le Conseil a tout de même décidé qu’il s’agissait là d’une atteinte au droit de propriété et à liberté d’entreprise.
Depuis, les parlementaires ont introduit dans la législation, à l’occasion du texte sur l’économie sociale et solidaire, le fait que l’obligation de rechercher un repreneur devienne une condition de la validation ou de l’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi par le Direccte. Mais c’est sans commune mesure avec la sanction envisagée qui pouvait jouer un rôle dissuasif non négligeable.

Un nouveau projet pour éviter les fermetures intempestives

Aussi est-il étonnant de voir réapparaître dans le projet de loi pour l’activité présenté mercredi en conseil des ministres par Emmanuel Macron une disposition poursuivant le même but : éviter la fermeture d’un site au moyen d’un nouvel article du code du commerce, le L631-19-2. Il s’agit de permettre une cession forcée, mais cette fois seulement en cas de redressement judiciaire. Cette disposition figure dans l’article 70 du projet de loi (voir page 31 de notre document joint).
Selon cet article, après qu’aient été examinées les possibilités de cession totale ou partielle, lorsque la disparition d’une société d’au moins 150 salariés (ou une entreprise dominante d’un ensemble employant 150 salariés) risque de causer « un trouble grave à l’économie et au bassin d’emploi » et que la seule solution permettant d’éviter ce trouble et de poursuite de l’activité de l’entreprise serait la modification du capital, le tribunal de commerce pourrait passer outre l’avis négatif de l’assemblée générale.

Un mandataire nommé par le tribunal de commerce

Le tribunal de commerce pourrait en effet « désigner un mandataire chargé de convoquer l’assemblée compétente et de voter l’augmentation du capital en lieu et place du ou des associés ou actionnaires ayant refusé la modification du capital, à hauteur du montant prévu par le plan ». Cette augmentation devrait être réalisée dans les 30 jours suivant la délibération.
La cession des capitaux détenus par les actionnaires ayant refusé l’opération serait donc ordonnée en fonction d’une valeur déterminée par un expert désigné par l’administrateur, le ministère public ou le président du tribunal. Cette opération s’accompagne d’un droit de retrait pour les autres actionnaires et de l’engagement des nouveaux de conserver les titres un certain temps.

Droit de propriété et intérêt général

Selon l’étude d’impact réalisée par le gouvernement, la France a enregistré 61 468 redressements et liquidations judiciaires d’entreprises en 2013 représentant 269 000 emplois. Parmi ces sociétés, 185 emploient plus de 100 salariés, soit 46 liquidations et 139 redressements. L’impact de la mesure devrait donc être limitée quant au nombre d’entreprises concernées, concède le gouvernement, « mais significatif s’agissant des emplois menacés susceptibles d’être préservés ».
Au vu de la précédente censure du Conseil constitutionnel, on peut toutefois s’interroger sur le caractère anticonstitutionnel de cette disposition. De fait, dans l’avis rendu au gouvernement sur son texte, le Conseil d’Etat évoque les risques d’inconstitutionnalité liés à « l’atteinte porté au droit de vote de l’associé ou de l’actionnaire qui est un attribut du droit de propriété ». Mais, enchaîne le Conseil, « l’impérieuse nécessité de sauver l’entreprise lorsqu’il n’existe plus d’autre solution que l’arrivée d’un nouvel actionnaire majoritaire (..) l’a conduit à considérer que ces risques pouvaient être surmontés ». L’intérêt général l’emportera-t-il sur le droit de propriété ? A suivre…

L’expertise prévue par la loi Florange
Malgré la censure partielle de la loi Florange, celle-ci a apporté quelques nouveautés pour les instances représentatives du personnel des entreprises d’au moins 1000 salariés. Ainsi, lorsqu’une entreprise envisage une fermeture avec pour conséquence un projet de licenciement collectif, l’employeur réunit et informe le CE. Il doit notamment leur présenter les actions envisagées pour trouver un repreneur et informer les salariés de la possibilité de déposer une offre de reprise. Informé des offres de reprise, le CE a le droit d’émettre un avis sur celles-ci, de formuler des recommandations et de se faire assister par un expert-comptable de son choix rémunéré par l’entreprise. Par ailleurs, la loi sur l’économie sociale et solidaire prévoit, outre une information des salariés en cas de projet de cession, que si l’administration chargée de se prononcer sur un PSE constate que l’employeur n’a pas rempli son obligation de rechercher un repreneur, elle peut rejeter la demande de validation ou d’homologation.

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