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Travail dominical : les inégalités vont persister

Le Conseil d'Etat a définitivement validé hier le décret autorisant les magasins de bricolage à ouvrir le dimanche, afin de "satisfaire les besoins du public". Les salariés du bricolage, comme tous ceux des secteurs bénéficiant d'une dérogation permanente au repos dominical, ne seront pas concernés par les dispositions de la loi Macron sur les contreparties salariales.

Travail dominical : les inégalités vont persister

Le Conseil d’Etat, qui se prononçait hier sur le fond, a confirmé la décision prise en référé en avril 2014 : la Haute juridiction rejette les demandes syndicales (CGT, FO, Sud) d’annulationdes décrets autorisant l’ouverture le dimanche des magasins de bricolage. Les enseignes de bricolage pourront donc continuer à ouvrir le dimanche.

Rappel chronologique
Rappelons que le premier décret « temporaire » pris par le gouvernement après le rapport Bailly, daté du 30 décembre 2013, avait été suspendu par le Conseil d’Etat. Cette décision avait conduit le gouvernement à prendre un nouveau décret, cette fois définitif, le 7 mars 2014, un texte aussitôt contesté par plusieurs organisations syndicales.

 

La motivation du Conseil d’Etat ne change pas. La vente au détail d’articles de bricolage le dimanche, estime la Haute juridiction administration, est nécessaire à la satisfaction des besoins du public, un des principes permettant la dérogation au repos dominical, selon l’article L3132-12 du code du travail.
« Le bricolage, dit le Conseil d’Etat, est une activité de loisir pratiquée plus particulièrement le dimanche, qu’eu égard à la nature de cette activité, la faculté de procéder, le jour même, aux achats des diverses fournitures en permettant l’exercice est nécessaire à la satisfaction de ce besoin ».
Contrairement à ce que soutenaient les syndicats, le Conseil d’Etat estime que la satisfaction de ce besoin constitue « une considération sociale pertinente » telle que l’exige l’article 7 de la convention n°106 de l’OIT. Cet article de l’OIT évoque « la nature du travail, la nature des services fournis par l’établissement, l’importance de la population à desservir ou le nombre des personnes employées ». Le bricolage entre donc, pour les juges administratifs, dans ce cadre.

Les partenaires sociaux ont été consultés

Au passage, le Conseil d’Etat estime que la « consultation » avec les partenaires sociaux exigée par l’OIT pour la mise en œuvre de telles dérogations a bien été menée par le ministre du travail, d’autant que la convention 106 de l’Organisation internationale du travail ne précise pas les modalités de cette consultation.
D’autre part, les décrets attaqués, estime le Conseil d’Etat, se bornent simplement à ajouter les magasins de bricolage « à la liste des établissement autorisés à donner à leurs salariés un repos hebdomadaire par roulement ». Ils ne constituent donc pas à proprement parler « une réforme qui relève du champ de la négociation nationale et interprofessionnelle » au sens de l’article L.1 du code du travail, introduit en par la loi Larcher du 31 janvier 2007.

FO appelle à la grève le 9 avril

L’avocat de FO au Conseil d’Etat, Cédric Uzan-Sarano, estime que la Haute juridiction fait une lecture « extensive » du besoin du public : « Il y a en germe dans cette décision une possible généralisation du travail dominical à d’autres secteurs que l’on pourrait considérer comme reliés au besoin du public ».
La fédération FO commerce a réagi hier soir en fustigeant « le positionnement politique » du Conseil d’Etat sur le dossier du bricolage. Le syndicat, qui a saisi l’OIT sur le sujet, appelle dans la foulée les salariés du commerce à faire grève le 9 avril « contre le pacte de responsabilité, la rigueur budgétaire et nombre de dispositions du projet de loi libérale Macron ».
Voté à l’Assemblée, le projet de loi pour l’activité présenté par Emmanuel Macron doit être examiné en avril au Sénat. Il comprend des dispositions sur le travail dominical censé assurer aux salariés de bénéficier, via des accords collectifs, d’une contrepartie salariale non définie par la loi.

Le régime du bricolage va subsister malgré le projet de loi Macron

Reste que ce projet ne changera rien, a priori, pour le bricolage. En effet, le texte entériné par l’Assemblée nationale ne supprime pas l’actuel article R3132-5 du code du travail, qui fixe la liste des industries et catégories d’établissement, parmi lesquels le bricolage mais aussi l’ameublement, pouvant déroger au repos dominical. Au surplus, le gouvernement semble considérer que le problème du travail dominical dans le bricolage est réglé, le secteur ayant déjà négocié des contreparties comme le doublement du salaire.
Ce n’était pas, rappelons-le, la position de Jean-Paul Bailly, dont le rapport sur le travail dominical était censé inspirer le gouvernement. Visant l’ameublement et le bricolage, Jean-Paul Bailly recommandait que la liste des dérogations permanentes accordées par l’article R.3132-5 soit resserrée : « Il ne faut pas poursuivre les dérogations par secteur car il y a une porosité entre les commerces », expliquait l’ancien patron de la RATP.

Le travail dominical s’étend, mais à des régimes différents

Le temps de tout remettre à plat par la loi, Jean-Paul Bailly recommandait une autorisation temporaire jusqu’au 1er juillet 2015 pour les magasins d’Ile-de-France. Las, c’est justement le côté temporaire de l’autorisation donnée aux magasins de bricolage d’ouvrir le dimanche qui avait été retoqué par le Conseil d’Etat lors de l’examen du premier décret du 30 décembre 2013.
Sauf à voir le texte définitif du projet de loi Macron évoluer, il reste donc une question cruciale : le projet de loi va-t-il vraiment éviter la disparité des situations des salariés devant travailler le dimanche, ainsi que n’a cessé de le proclamer le gouvernement ? Il semble bien que non.
Ce projet laisse en effet coexister des secteurs pouvant déroger de plein droit au repos dominical (selon la liste définie par l’article R.3132-5) éventuellement sans contreparties (sauf dispositions conventionnelles), à des établissements figurant soit sur des zones géographiques soit bénéficiant des dimanches du maire mais dont l’autorisation de travail dominical est subordonnée à un accord collectif prévoyant des contreparties salariales…
« Cela va créer des situations d’inégalités flagrantes. Mais à partir du moment où elles s’appuient sur des régimes dérogatoires différents, il n’est pas sûr que l’on puisse les contester », réagit l’avocat de FO, Cédric Uzan-Sarano.

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