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Délais de paiement : une réglementation inefficace?

Les sanctions prévues par la loi en matière de délais de paiement ne sont pas toujours appliquées, le décret qui définit la mission d'attestation du commissaire aux comptes tarde à paraître et le chantier de la facturation numérique, appelé à réduire les délais de paiement et les coûts, semble lourd à mettre en œuvre.

Délais de paiement : une réglementation inefficace?

Plus de six ans après l’instauration par la loi des premiers plafonnements des délais de paiement de droit commun entre les entreprises, un constat d’échec s’impose (voir le tableau ci-dessous). « Un tiers des entreprises restent touchées par des retards », déplorait jeudi dernier Christian Eckert lors d’une conférence sur le sujet. Les PME perdent ainsi près de 15 milliards d’euros de trésorerie, selon le ministère de l’économie et des finances.

Rendre publiques les sanctions

« Les délais de paiement représentent la mère des batailles », indique le secrétaire d’Etat chargé du budget. Mais pas question pour le gouvernement de prendre de nouvelles mesures en la matière. Il s’agit déjà de faire respecter la loi en place. « On a décidé de ne pas aller plus loin par la loi mais d’être intraitable dans [son] application », a martelé Emmanuel Macron jeudi dernier. Bercy compte s’appuyer sur le nouvel arsenal répressif introduit par la loi de consommation du 17 mars 2014 (complétée par la loi artisanat du 18 juin 2014) pour davantage d’efficacité. Le ministre de l’économie a ainsi appelé la DGCCRF (direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), chargée de contrôler le respect des délais de paiement, à utiliser l’ensemble du panel de sanctions à sa disposition. A côté des amendes administratives (qui ont remplacé l’amende pénale peu appliquée), Emmanuel Macron insiste sur le recours à la publicité des sanctions « lorsque la gravité des manquements le justifie ». Nommer les mauvais payeurs par souci d’exemplarité. Cette publication peut être effectuée par voie électronique, de presse ou d’affichage ; elle peut porter sur tout ou partie de la décision, ou prendre la forme d’un communiqué.

Rapport de force commercial

Par ailleurs, les entreprises entre elles ne semblent pas faire usage des recours prévues par la loi. Selon la dernière enquête annuelle de l’AFDCC (association française des credit managers et conseils), presque une entreprise sur deux ne réclame jamais les pénalités de retard, pourtant exigibles sans qu’un rappel ne soit nécessaire dès le lendemain de la date d’échéance. Et près de 70% déclarent ne pas encaisser l’indemnité forfaitaire de 40 euros pour frais de recouvrement (par facture de retard) ; ce sont même 79% des structures de plus de 50 salariés qui ne l’appliquent pas, selon un récent baromètre du cabinet ARC/Ifop. « Les entreprises craignent généralement de perdre des parts de marché », explique Denis Le Bossé, président du cabinet ARC, spécialisé dans le recouvrement de créances. « Un rapport de force commercial s’est instauré, même entre petites entreprises ».

Publication ou communication des informations ?

Des mesures existent également pour suivre ces délais de paiement mais leur application est suspendue à la parution d’un décret. Ce texte doit d’abord définir les modalités de transmission, par les sociétés dont les comptes sont certifiés, des informations sur les délais de paiement à la fois de leurs fournisseurs et de leurs clients. A noter que le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, qui sera examiné par le Sénat en séance publique à partir du 7 avril, prévoit – dans sa rédaction actuelle – une simple « communication » de ces informations, et non plus une « publication » dans le rapport de gestion ou un document spécifique.

Approche par les flux pour la mission d’attestation du Cac

Ce même décret doit également fixer les conditions du nouveau rôle des commissaires aux comptes (Cac) dans ce domaine. Le Cac des sociétés devant faire auditer leurs comptes annuels devra attester les informations sur les délais de paiement. Et adresser son attestation au ministre de l’économie en cas de manquements significatifs et répétés de la société auditée, lorsqu’il s’agit d’une grande entreprise ou d’une entreprise de taille intermédiaire. Une discussion « dure depuis plusieurs mois (…) pour savoir si on a une approche par les stocks ou par les flux », justifie Emmanuel Macron. Le gouvernement semble avoir tranché pour la seconde solution. « Nous aurons une approche en flux qui sera pratiquée par les commissaires aux comptes pour avoir l’appréciation la plus fine du respect des délais de paiement », précise-t-il.
Cette attente est regrettable, selon Denis Le Bossé, car « le commissaire aux comptes est l’homme de l’art permettant un contrôle réellement efficace ». Cependant, « cette mission pourrait s’avérer délicate pour les Cac qui sont peu motivés à aller contrôler leur client ». Selon le baromètre ARC/Ifop, une majorité d’entreprises interrogées pensent que ce dernier transmettra les attestations à Bercy mais ne sont plus que 25% à estimer que cela permettra de réduire les délais de paiement…

Booster le recours à la facturation numérique

Ce décret devrait sortir « à l’été », a indiqué Sébastien Raspiller de la direction générale du Trésor (DGT) lors de la conférence jeudi dernier. Qui ajoute que le gouvernement attend en fait la publication de la loi croissance pour coordonner différentes mesures. Afin de rendre opérationnel ce dispositif de suivi et de transparence, Bercy compte l’inscrire dans le mouvement plus vaste de la facturation numérique, dont la généralisation est également prévue par le projet Macron. La transmission des informations par les entreprises sur les délais de paiement serait facilitée par la facturation électronique qui aurait « pour effet de faire changer les comportements naturellement », estime le représentant de la DGT.
Le gouvernement mise donc sur la facturation électronique pour réduire les délais de paiement mais également les coûts. Avec un gain de 10 euros par facture, précise Emmanuel Macron. Bercy entend ainsi accélérer le recours à cet outil, encore sous utilisé. Aujourd’hui, le taux d’équipement est de 24% dans les grandes entreprises et tombe à 15% dans les PME, indique Jérôme Mandrillon, de l’AFDCC.

Difficultés techniques

Le chantier est donc immense de par l’ampleur du retard dans la dématérialisation et des difficultés techniques de mise en oeuvre (par exemple pour implémenter les logiciels dans toutes les entreprises). D’ailleurs tout reste à définir, le projet Macron ne donnant qu’une habilitation au gouvernement pour prendre par ordonnance toute mesure permettant le développement de la facturation électronique dans les relations entre les entreprises. A noter que cette disposition a été retoquée en commission sénatoriale il y a une dizaine de jours, en raison d’une rédaction imprécise. Sans en faire référence, Emmanuel Macron a indiqué que la facturation électronique serait mise en place à partir de 2017 pour les grands groupes puis de 2020 pour les autres entreprises. Une échéance bien lointaine pour en voir les effets positifs sur les délais de paiement et plus généralement sur la trésorerie des entreprises.

Des prêts entre entreprises

Or, certaines situations n’attendent pas. Pour Denis Le Bossé, « la seule solution aujourd’hui est d’apporter du cash aux entreprises, de financer leur trésorerie ». L’un des leviers : le crédit inter-entreprises, qui pourrait être étendu via une mesure du projet de loi Macron. Il est prévu de permettre à des entreprises partenaires de se consentir des prêts. « Le risque majeur cependant est de passer d’un rapport de force commercial à un rapport de force économique et donc à une dépendance économique », prévient le président du cabinet ARC. D’ailleurs, la commission spéciale du Sénat a adopté une nouvelle rédaction de l’article en question pour éviter certains risques et n’exclut pas d’autres ajustements en séance publique.

Depuis 2009 (*), aucune amélioration du comportement des entreprises en matière de délais de paiement

(en % d’entreprises)

Tranches de jours de retard Moyenne 2009 1e semestre 2010 1e semestre 2011 1e semestre 2012 1e semestre 2013 1e semestre 2014
Paiements effectués sans retard 32,6% 34,3% 31,8% 32,9% 31,3% 32%
Retards inférieurs à 15 jours 38,6% 37,8% 38,2% 36,1% 37,0% 36,9%
Retards de 15 à 30 jours 23,3% 22,3% 24,2% 25,5% 26,2% 25,7%
Retards supérieur à 30 jours 5,4% 5,6% 5,8% 5,4% 5,5% 5,4%
Nombres de jours de retard 11,8 11,9 12,2 11,9 12,1 11,9

(*) La loi LME, instaurant un plafonnement des délais de paiement de droit commun, est entrée en vigueur le 1er janvier 2009.
Source : Altares

 

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