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Défaillances d'entreprises : « Les entreprises sont dans une bulle, elles sont placées sous respirateur artificiel »

Si l’on se plonge dans les chiffres, tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes : d’un côté, les créations d'entreprise affichent une forme insolente entre septembre et novembre (+21 % en un an) et de l’autre, les défaillances restent au plus bas sur cette même période. Reste à savoir pour combien de temps les entreprises vont réussir à faire de la résistance.

Défaillances d'entreprises : « Les entreprises sont dans une bulle, elles sont placées sous respirateur artificiel »
La multiplication des "entreprises zombies" risque de ralentir le rebond de l’économie française et freine l’arrivée d’entreprises plus performantes. © Adobe Stock

« Nous sommes dans une situation inédite », explique Sophie Jonval, présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNG). Si normalement, dans les périodes de crise, il y a une hausse des procédures collectives et un recul des créations d’entreprises, depuis le mois de mars, c’est l’inverse. « Au contraire, on assiste à un fort recul, presque historique, du nombre d’ouvertures de procédures collectives et à un rebond des créations d’entreprises cet été qui s’est poursuivi à l’automne », détaille-t-elle. Ainsi, 129 499 immatriculations ont été enregistrées au Registre du Commerce et des Sociétés, soit une croissance de plus de 20 % par rapport à la même période en 2019[*]. Si les créations font preuve d’un certain dynamisme, il convient néanmoins de les pondérer : celles-ci concernent essentiellement des métiers porteurs avec la crise, comme la foodtech et la livraison à domicile qui ont fleuri après le premier confinement.

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15 000 défaillances d’entreprises en moins…

Dans le même temps, 7 465 ouvertures de procédures collectives ont été enregistrées sur la période du 1er septembre au 30 novembre 2020, soit une baisse de 37 % à un an d’intervalle. Si le nombre de défaillances a augmenté cet été par rapport aux mois précédents, avec 6 702 procédures comptabilisées, le niveau reste cependant très en-deçà (- 35,4 %) de ce qui était observé sur la même période en 2019. « Depuis janvier, les tribunaux ont prononcé 24 000 ouvertures de procédures collectives, soit le plus bas niveau de défaillances depuis plus de 30 ans », note Thierry Millon, directeur des études Altares.

« Les aides de l’État ont maintenu les entreprises sous perfusion et les tribunaux de commerce ont cessé une partie de leur activité : nous ne disposons donc pas pour le moment d’un bon retour de miroir. »

Au total, les greffiers des tribunaux de commerces anticipent 15 000 défaillances d’entreprises en moins cette année par rapport à 2019. Indépendamment de la crise, chaque année, ils enregistrent une moyenne de 50 000 procédures collectives. La baisse significative de ces ouvertures de procédures collectives s’explique d’abord par le refus des Urssaf d’assigner en justice les mauvais payeurs et surtout par les mesures gouvernementales mises en place (activité partielle, PGE, exonérations de charges, fonds de solidarité, report des cotisations, etc).« Les entreprises sont dans une bulle, elles sont placées sous respirateur artificiel », juge Sophie Jonval. « Les aides de l’État ont maintenu les entreprises sous perfusion et les tribunaux de commerce ont cessé une partie de leur activité : nous ne disposons donc pas pour le moment d’un bon retour de miroir » ajoute Bernard Cohen-Hadad, président de la CPME Paris Île-de-France. Reste en effet à savoir ce qu’il adviendra de ces entreprises quand leur passif sera exigible.

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…pour un niveau record en 2021

« Cette accalmie ne pourra pas durer », signale Sophie Jonval. Cette baisse n’indique absolument pas « une réduction du nombre d’entreprises en difficulté », note la Banque de France. Ainsi, le conseil national des greffiers des tribunaux de commerce anticipe des niveaux record en 2021 du nombre de faillites. « La vague s’étalera sur 2021 et 2022. Il y aura des répercussions sur deux ou trois ans, notamment dans le secteur de l’industrie », annonce Sophie Jonval. Avec la fin des aides publiques et les remboursements de PGE, de nombreuses entreprises pourraient se retrouver en grande difficulté dès le printemps prochain. « Leur sort dépendra en grande partie du niveau de reprise de l’activité. »

« Plusieurs signaux nous alertent, en particulier la proportion grandissante de liquidations directes, révélatrice d’entreprises qui ont sans doute trop attendu pour se déclarer en cessation et ne peuvent plus être sauvegardées. »

Pour éviter ces difficultés, le gouvernement a intérêt à lever le pied, petit à petit. Sophie Jonval préconise « un arrêt progressif des aides. Dans le cas contraire l’atterrissage risque d’être violent. Il faut doser la fin de ces mesures avec une reprise progressive du chiffre d’affaires en faisant presque du cas par cas ». Si, à l’issue du premier confinement les perspectives étaient bonnes avec l’été et la forte saisonnalité de certains secteurs d’activité comme l’hébergement ou la restauration, il n’en est pas de même dans les mois à venir qui sont moins porteurs, précise Sophie Jonval. « Il faut que l’activité soit au rendez-vous », conclut-elle.

Au-delà de ce premier afflux de procédures collectives à venir, s’ajouteront toutes les entreprises qui se posaient la question de se lancer dans une procédure collective et ont suspendu leurs démarches avec la crise : elles risquent de se manifester à l’issue de la crise. « Il s’agit d’entreprises en bout de course, qui suivent le cycle de vie normal d’une entreprise quel que soit le contexte économique. » 5% des TPE/PME jugent ainsi leurs difficultés de trésorerie insurmontables (contre 3 % en septembre) et 4 % anticipent une liquidation[**]. « Plusieurs signaux nous alertent, en particulier la proportion grandissante de liquidations directes, révélatrice d’entreprises qui ont sans doute trop attendu pour se déclarer en cessation et ne peuvent plus être sauvegardées », avertit Thierry Million. Ainsi, les situations des entreprises déclarant une défaillance s’avèrent plus compliquées et irréversibles qu’habituellement.

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Vers une « zombification » de notre économie ?

Au-delà de ces cessations d’activité, la préoccupation des acteurs économiques concerne la montée des « entreprises zombies ». Cette expression, forgée par la Banque de France, désigne les entreprises matures d’au moins dix ans d’existence, qui seraient dans l’incapacité de rembourser leurs dettes avec leur excédent brut d’exploitation pendant au moins trois années consécutives. « Le principal risque vient plus de ces entreprises, qui ne génèrent plus suffisamment de résultat pour survivre et se développer dans un environnement dégradé. La mine de trésorerie mise à la disposition des entreprises, par le biais notamment du PGE, a entraîné leur multiplication », s’inquiète Hélène de Prévoisin, directrice marché Entreprises et institutionnels à La Banque Postale. Leur augmentation risque de ralentir le rebond de l’économie française et freine l’arrivée d’entreprises plus performantes, plaident les économistes.

« Un retrait progressif des mesures ou un durcissement graduel des conditions d’accès permettra de réenclencher efficacement le processus de réallocation. »

Le conseil d’analyse économique (CAE) retient également dans une note de décembre que « le ciblage imparfait des aides qui évite la défaillance d’entreprises performantes se fait aujourd’hui au prix du maintien d’entreprises peu performantes ou non viables ». Tout comme Sophie Jonval, ces derniers prônent « un retrait progressif des mesures ou un durcissement graduel des conditions d’accès [qui] permettra de réenclencher efficacement le processus de réallocation » et ainsi faire le tri. Ce retrait des mesures de soutien devra s’étaler dans le temps pour ne pas générer un engorgement des tribunaux du commerce, alertent-ils. « ll n’y aura pas d’engorgement. Nous sommes capables de dimensionner les équipes en conséquence. Il y aura des audiences pour tout le monde », rassure sur ce point la présidente du CNG.

Dans la mesure où le soutien de l’État est temporaire, le CAE préfère parler de « mise en hibernation » de l’économie plutôt que de « zombification » de l’économie. Les auteurs de la note estiment par ailleurs que « les mêmes facteurs (la dette et la productivité du travail au premier rang) qui prédisaient en 2019 quelles entreprises entraient en défaillance demeurent à l’œuvre en 2020 [et] l’impact différencié du Covid joue peu par rapport aux facteurs propres à l’entreprise ». Ils invitent toutefois le gouvernement à ne pas tenter d’éviter « l’effet de rattrapage normal des défaillances qui n’ont pas eu lieu en 2020 » et de ne pas retarder la sortie des aides. Un choix politique pour le moins difficile dans le contexte actuel. 

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[*] Baromètre des défaillances d’entreprises du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce en partenariat avec l’institut Xerfi, publié le 9 décembre.

[**] Enquête Trésorerie, Investissement et Croissance des PME Baromètre trimestriel Bpifrance Le lab – Rexecode de novembre 2020.

Charlotte de Saintignon

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