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La guerre en Ukraine met à mal nombre de PME

Le 24 février dernier, la déclaration de guerre de la Russie à l’Ukraine a été un choc humain mais aussi économique pour les PME françaises déjà fragilisées par deux années de crise sanitaire. Le 5 avril, l’association des journalistes des PME (AJPME) a organisé une table-ronde sur les impacts de la guerre en Ukraine sur les PME françaises.

La guerre en Ukraine met à mal nombre de PME
Matthias Fekl (gauche), Sylvain Bersinger (centre) et Alain di Crescenzo (droite), au restaurant Au Petit Riche à Paris, le matin du 5 avril. © Charlotte de Saintignon

Au-delà des enjeux géopolitiques et humains face à la tragédie de la guerre en Ukraine, « c’est un gâchis économique dans une période de relance ». En termes d’entrée en matière, Alain di Crescenzo, président de CCI France et PDG du groupe IGE+XAO[*], ne mâche pas ses mots. Si le pays n’est pas en récession – Sylvain Bersinger, économiste au cabinet Asterès table sur une amputation d’environ un point de la croissance française en 2022, soit un PIB de 2,5 % sur l’année au lieu des 3,5 % initialement anticipés –, « il y a un choc global qui va impacter certains secteurs », explique-t-il.

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Pour Alain di Crescenzo, il est nécessaire d’identifier les secteurs à risque qui pourraient être « en grande difficulté, voire mis au tapis ». Pour Matthias Fekl, président de la Commission Internationale de la CPME et ancien Ministre, des tensions existent déjà dans certains secteurs comme l’agro-alimentaire ou le bâtiment. Face aux problématiques d’énergie et de hausse des coûts, « certains envisagent des fermetures d’unités de production ou d’usines », constate-t-il.

Ainsi, « 50 % des entreprises se disent en souffrance », avertit le président de CCI France. L’épée de Damoclès se concentrant sur le risque inflationniste et sa répercussion sur les entreprises et les ménages. Parmi les principales questions des entreprises, la logistique et l’acheminement des marchandises ou des questions d’ordre contractuel. Autres questions qui sont remontées du terrain : comment bénéficier des aides du gouvernement ou répercuter aux clients les hausses de coûts.

Volatilité des prix

La très grande volatilité et instabilité des prix fait voler le moindre devis en éclats. « Les prix évoluent tellement vite qu’un devis, qui était valable un ou plusieurs mois auparavant, ne l’est plus que quelques semaines voire quelques jours ou quelques heures seulement », note Matthias Fekl. « Toutes les entreprises sont gênées par l’évolution des prix des matières premières et les difficultés d’approvisionnement », témoigne Alain di Crescenzo. Il prend l’exemple d’une entreprise basée à Strasbourg qui dispose d’un stock de composants électriques jusqu’à fin mai seulement. « Si les matières premières n’arrivent pas, elle devra arrêter sa chaîne de production », explique-t-il.

« Il est nécessaire de faire comprendre aux donneurs d’ordre qu’il faut faire un effort sur les prix et les amener à la négociation. Si un maillon de la chaîne va au tapis, c’est toute la chaîne qui va au tapis »

Une autre entreprise dans le secteur du jouet qui travaille avec des colorants à base de titane doit faire face aux difficultés d’approvisionnement et à la hausse des prix sur cette matière première. Une autre encore, qui produit des chips, subit de plein fouet la hausse du prix de l’huile de tournesol qui, venue en proportion forte d’Ukraine, est passé à 2 800 € la tonne. « Il est nécessaire de faire comprendre aux donneurs d’ordre qu’il faut faire un effort sur les prix et les amener à la négociation. Si un maillon de la chaîne va au tapis, c’est toute la chaîne qui va au tapis ».

Certaines entreprises se sont dotées de médiateurs mais toutes ne l’ont pas fait », explique Alain di Crescenzo. La CPME, qui a sondé ses adhérents via ses fédérations départementales, remonte le cas de l’un d’entre eux pour qui « le surcoût du gasoil a consommé intégralement les résultats réalisés aux mois de janvier et février », rapport Matthias Fekl.

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Inquiétude et confusion

Autre crainte des PME rapportée par l’ancien ministre : le risque d’éviction des petites entreprises. « C’est un point de vigilance fort », relève l’ancien ministre qui préconise de faire en sorte que dans cette période de tension des approvisionnements, des délais et des prix, les grands groupes ne soient pas privilégiés par rapport aux PME. Concernant les entreprises qui sont actives dans l’un des pays concernés par la crise, leur principale problématique est la compréhension des sanctions appliquées. « Les PME peuvent se retrouver démunies dans leur analyse des sanctions car elles sont à la fois complexes et mouvantes et impactent les dispositifs contractuels. Elles ont donc besoin de directives claires », explique Matthias Fekl.

Autre difficulté pour ces entreprises, le paiement des livraisons déjà effectuées. « Nous avons beaucoup d’exemples dans ce sens. Cela peut être lourd dans le bilan d’une petite entreprise, voire remettre en cause sa survie », poursuit l’ancien ministre. À plus long terme, la difficulté pour ces entreprises actives dans ces pays consiste à trouver d’autres débouchés et fournisseurs pour sécuriser leur activité. Mais « la prospection de nouveaux marchés ne se fait pas en trois mois pour une PME », relève Béatrice Brisson, directrice des affaires européennes et internationales à la CPME.

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Besoin d’un « cousu main »

Sur le plan de résilience, Matthias Fekl comme Alain di Crescenzo se sont montrés très prudents. « Même si elles sont bonnes, ces mesures ne sont pas suffisantes. Il faut faire du chirurgical », explique ce dernier, notamment pour compenser les 6,5 % d’inflation escompté par le cabinet Asterès « dans le cadre d’un scénario pessimiste où le prix des carburants augmenterait encore de 20 % », comme le craint Sylvain Bersinger. « Faire du cousu main et un suivi entreprise par entreprise », préconise ainsi Matthias Fekl. Sinon, à cause de critères trop rigides et des effets de seuil, certaines entreprises risquent de passer à côté des aides alors qu’elles en ont besoin.

« Il faut analyser leurs comptabilités, leurs bilans et leurs besoins car beaucoup de PME peuvent être touchées indirectement par une série de facteurs qui, cumulés, peuvent être mortels et les contraindre à mettre la clé sous la porte en silence »

Parmi les problématiques soulevées, la difficulté pour les entreprises de simuler quelles seront leur perte ou d’estimer un ratio d’énergie dans leur chiffre d’affaires pour pouvoir prétendre aux aides destinées aux entreprises très consommatrices d’énergie. « Il faut analyser leur comptabilité, leurs bilans et leurs besoins car beaucoup de PME peuvent être touchées indirectement par une série de facteurs qui, cumulés, peuvent être mortels et les contraindre de mettre la clé sous la porte en silence », alerte Matthias Fekl.

[*] Éditeur de logiciels dédiés à la conception, la fabrication, la mise en service et la maintenance des systèmes électriques pour tout secteur d’activité.

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Charlotte de Saintignon

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