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Le Sénat adopte le projet de loi sur les indépendants

Le Sénat a adopté le 26 octobre, en première lecture, le projet de loi sur les indépendants, après l’avoir amendé. Il a notamment retouché l’article phare créant un statut unique pour l’entrepreneur individuel.

Le Sénat adopte le projet de loi sur les indépendants
Les sénateurs craignent que les indépendants devront renoncer en pratique à la protection de leur patrimoine personnel parce que les banques ne se satisferaient pas d’un droit de gage uniquement sur le patrimoine professionnel. © LIONEL BONAVENTURE / AFP

« À l’approche des élections, le gouvernement nous demande d’examiner en urgence un projet de loi assez improvisé, qui touche aux fondements mêmes de notre droit civil », a regretté François-Noël Buffet (LR), lors de l’examen du projet de loi en commission le 13 octobre dernier. En cause ? Le nouveau statut « plus protecteur » des indépendants qui reposerait sur une séparation inédite des patrimoines personnel (protégé d’office) et professionnel (« biens, droits, obligations et sûretés utiles à l’activité »).

Favorable à sa création, la commission des lois du Sénat a « sécurisé » l’article 1er pour « remédier aux fragilités du dispositif présenté par le gouvernement » et ainsi éviter « une longue succession de contentieux ». En séance publique, les sénateurs ont ajouté plusieurs correctifs, notamment en ce qui concerne l’allocation des travailleurs indépendants (ATI). Le projet de loi, adopté en première lecture le 26 octobre par le Sénat, sera présenté à l’Assemblée nationale au début du mois de janvier. « L’ensemble des mesures pour les travailleurs indépendants devraient donc, a priori, être applicables après le premier trimestre 2022 », a fait savoir le ministre chargé des PME, Alain Griset lors de son audition.

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Pour rappel, le projet de loi du gouvernement permet notamment à l’entrepreneur individuel de renoncer à la protection de son patrimoine personnel, sur demande écrite d’un créancier, pour un engagement déterminé. L’administration fiscale garderait un droit de gage sur l’ensemble des patrimoines.

Les indépendants pourraient transférer l’intégralité de leur patrimoine professionnel, sans procéder à sa liquidation préalable (paiement des dettes en cours, règlement des factures, etc.) dans le cas d’une cession d’activité, d’une transmission gratuite, ou d’un apport en société (cela permet de faciliter le passage de l’exercice d’une activité en nom propre à une société).

« Plusieurs incertitudes restent à lever »

« Sur le plan juridique, le nouveau statut de l’entrepreneur individuel constitue une petite révolution, a souligné Christophe-André Frassa. En pratique, ses effets seront limités, car les créanciers exigeront de nouvelles garanties. » La crainte du sénateur LR, partagée par la commission des affaires économiques dans son avis, est triple :

  • les indépendants devraient renoncer en pratique à la protection de leur patrimoine personnel parce que les banques ne se satisferaient pas d’un droit de gage uniquement sur le patrimoine professionnel ;
  • la simplification formelle du nouveau statut serait tempérée en pratique par l’alourdissement des garanties des créanciers ;
  • la notion floue de « biens utiles » pour caractériser le patrimoine professionnel risque de devenir un sujet de contentieux.

Afin de limiter ces risques, le Sénat propose notamment :

  • de subordonner la limitation du droit de gage des créanciers (sur le patrimoine personnel) à une mesure de publicité prouvant que l’entreprise individuelle existe (immatriculation par exemple), et de subordonner le transfert du patrimoine professionnel, lui aussi, à une mesure de publicité ;
  • de subordonner la renonciation à la protection du patrimoine personnel à un acte de mention écrit par l’entrepreneur et de donner la possibilité à ce dernier de ne pas respecter le délai de réflexion de 7 jours francs selon le montant de l’engagement « pour ne pas entraver la marche de ses affaires » ;
  • de remplacer la notion de « biens utiles » à l’activité professionnelle par celle de « biens exclusivement utiles » (pour trancher le cas des biens « mixtes » professionnels et personnels) ;
  • « d’instituer des règles de preuve [de l’utilité, ndlr] pour apporter de la sécurité à l’entrepreneur individuel et à ses créanciers». Les biens immeubles de l’entrepreneur individuel seraient présumés appartenir à son patrimoine personnel sauf preuve contraire, et ses biens meubles à son patrimoine professionnel, dans la limite du total du bilan ou, à défaut de bilan, de 5 000 € (amt n° COM-9 rect.)

Parmi les autres « incertitudes à lever », selon la formulation de la commission des affaires économiques, les dettes fiscales (taxe foncière par exemple) relatives aux biens compris dans le patrimoine professionnel devraient être, selon les sénateurs, « expressément » rattachées au patrimoine professionnel « pour dissiper des craintes mal fondées » (amt n°51).

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Passe d’armes autour de l’administration fiscale

En commission, le sénateur Christophe-André Frassa entendait supprimer « l’exception au principe de séparation des patrimoines que souhaitent s’octroyer les créanciers publics pour le recouvrement de certaines impositions ou contributions » estimant que le gouvernement n’a pas de raison valable d’étendre par là le droit de gage de l’administration fiscale (amt n°COM-11).

Puis, volte-face en séance publique. Le même sénateur a finalement proposé « en guise de compromis avec la position du gouvernement » de « rétablir la possibilité pour l’administration fiscale de saisir l’ensemble des biens de l’entrepreneur individuel pour le recouvrement de l’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux dus par celui-ci ou par son foyer fiscal (et non pas seulement les biens compris dans le patrimoine personnel) » à une condition : que « l’assiette de ces impositions comprend des revenus tirés de l’activité professionnelle de l’entrepreneur » (amt n°52).

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Clause de revoyure pour l’ATI

Concernant l’ATI, l’autre disposition symbolique du projet de loi, le Sénat souhaite – contre l’avis du gouvernement – fixer une clause de revoyure au 31 octobre 2024, 5 ans après l’entrée en vigueur de l’allocation, pour « se prononcer de manière éclairée sur la prolongation et l’éventuelle réforme du dispositif » (amt n°COM-4). « Les circonstances actuelles ne doivent pas exonérer l’État de faire un véritable bilan de cette prestation qui n’a pas trouvé sa cible, estime la sénatrice Frédérique Puissat (LR) dans son amendement. L’ATI a été mise en place il y a moins de deux ans, le 1er novembre 2019. Sur cette période très courte, seuls quelques mois auront été significatifs. »

Une concertation avec les partenaires sociaux devrait également être organisée sur la réforme de l’ATI au plus tard le 30 avril 2024. Parmi les chemins que la réforme pourrait emprunter, les sénateurs suggèrent l’ouverture du dispositif aux micro-entrepreneurs des plateformes, lesquels ne seraient toujours pas – malgré la simplification des conditions d’accès proposée par le projet de loi – éligibles à l’ATI (amt n°29).

Enfin, Frédérique Puissat souhaiterait que les acteurs de l’écosystème de l’entreprise (Pôle emploi, banques, chambres consulaires et chambres des métiers, experts-comptables) communiquent davantage aux indépendants les solutions assurantielles volontaires, que proposent par exemple l’association GSC (amt n°COM-5).

Autres apports sénatoriaux

Les sénateurs entendent également :

  • préciser l’articulation du nouveau statut avec les régimes matrimoniaux. Le consentement du conjoint marié serait requis pour que l’autre conjoint dispose des biens communs dans son patrimoine professionnel, ou transfert son patrimoine professionnel (amt n°53) ;
  • récupérer leur compétence sur les conséquences de la création du nouveau statut en matière de procédures collectives et de surendettement. Le gouvernement prévoit de traiter le sujet par ordonnance (amt n°COM-12) ;
  • autoriser la levée d’interdiction bancaire dès l’ouverture d’une conciliation amiable constatée (et non seulement en cas d’accord de conciliation homologué, d’arrêt d’un plan de sauvegarde, d’un jugement de clôture de redressement ou d’une procédure de rétablissement professionnel, amt n°1 rect.) ;
  • rajouter « l’activité de toilettage des chiens, chats et autres animaux de compagnie » dans la liste des activités ne pouvant être exercées que par une personne qualifiée professionnellement, ou une personne placée sous le contrôle effectif d’une personne qualifiée professionnellement.

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Matthieu Barry

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