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Locataire-gérant en liquidation judiciaire : le propriétaire du fonds est tenu de poursuivre les contrats de travail

Les personnes employées par une société dont le contrat de location-gérance a été résilié judiciairement, deviennent salariés de la société propriétaire du fonds de commerce, en dehors de l’hypothèse d’« une ruine » du fonds, selon un arrêt rendu le 3 avril par la Cour de cassation.

Locataire-gérant en liquidation judiciaire : le propriétaire du fonds est tenu de poursuivre les contrats de travail
« Sauf ruine du fonds, la résiliation du contrat de location-gérance par le liquidateur judiciaire entraîne le retour du fonds dans le patrimoine de son propriétaire, lequel doit assumer toutes les obligations du contrat de travail ». © Getty Images

Utilisée dans de nombreux secteurs, notamment la grande distribution ou la restauration, la location-gérance résulte d’un contrat ou d’une convention par lequel le propriétaire ou l’exploitant d’un fonds de commerce ou d’un établissement artisanal en concède totalement ou partiellement la location à un gérant, chargé de l’exploiter à ses risques et périls (C. com., art. L. 144-1).

Quel est le sort des salariés en cas de résiliation judiciaire du contrat de location-gérance ? La Chambre sociale a apporté une réponse nette dans un arrêt rendu le 3 avril dernier (Cass. soc., 3 avr. 2024, n° 22-10.261, 22-10.262, 22-10.263, 22-10.264, 22-10.265, 22-10.266, 22-10.267) : le propriétaire du fonds de commerce est tenu d’« assumer toutes les obligations du contrat de travail », sauf dans l’hypothèse d’« une ruine du fonds ».

Un refus de paiement des salariés par la société propriétaire du fonds

À la suite de l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, puis de sa conversion en liquidation, le liquidateur judiciaire de la société locataire-gérante avait notifié à la société propriétaire du fonds « l’impossibilité de poursuivre le contrat de location-gérance et l’intention de restituer le fonds à compter du jour de la liquidation ».

Mais, après le transfert des contrats de travail, la société propriétaire avait « refusé de verser les salaires pour la période du 7 février au 31 mars 2017 ». Les salariés avaient saisi un conseil de prud’hommes « de diverses demandes, salariales et indemnitaires ». La propriétaire avait elle-même été placée en redressement judiciaire.

Par des arrêts rendus le 5 novembre 2021, la cour d’appel d’Aix-en-Provence avait rejeté les demandes des salariés, fixant au 1er avril 2017 la date du transfert des contrats de travail. Les salariés avaient formé un pourvoi contre l’arrêt rendu en seconde instance, affirmant notamment que « sauf ruine du fonds, la résiliation du contrat de location-gérance par le liquidateur judiciaire du locataire-gérant entraîne automatiquement le retour du fonds dans le patrimoine de son propriétaire et le transfert des contrats de travail, lesquels se poursuivent avec ce dernier », ainsi que le rapporte la Cour de cassation.

L’application de l’article L. 1224-1 du code du travail

La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire accueille favorablement l’argumentation des salariés, sous le visa de l’article L. 1224-1 du code du travail, estimant que la cour d’appel d’Aix-en-Provence « a violé » ce texte.

« Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise », prévoit ce texte.

Pour la Cour de cassation, il découle de ces dispositions que « sauf ruine du fonds, la résiliation du contrat de location-gérance par le liquidateur judiciaire entraîne le retour du fonds dans le patrimoine de son propriétaire, lequel doit assumer toutes les obligations du contrat de travail ».

Dans la situation d’espèce, « la résiliation du contrat de location-gérance par le liquidateur dès le 6 février 2017 avait entraîné le retour du fonds de commerce dans le patrimoine de son propriétaire », lié juridiquement à cette date aux salariés.

La Cour casse et annule les décisions rendues en seconde instance. L’affaire et les parties sont « remises dans l’état où elles se trouvaient avant ces arrêts » et renvoyées « devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence autrement composée ».

Par souci de protection des salariés, la juridiction judiciaire suprême applique l’esprit de l’article L. 1224-1 du code du travail, dont la liste de situations induisant transfert des contrats de travail n’est pas limitative.

Timour Aggiouri

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