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« Le name & shame et la suspension d’activité sont deux mesures fortes contre la fraude au travail détaché »

16 mesures pour renforcer la lutte contre la fraude au détachement et le travail non déclaré ont été présentées le 12 février 2018 par la ministre du Travail, Muriel Pénicaud. Justine Godey, avocate spécialiste, décrypte ces propositions.

« Le name & shame et la suspension d’activité sont deux mesures fortes contre la fraude au travail détaché »

La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a présenté, ce lundi 12 février 2018, 16 mesures envisagées par le plan national de lutte contre le travail illégal. Entre 2016 et 2017, le nombre de salariés détachés en France a presque doublé. Ils étaient 354 151 il y a 2 ans contre 516 101 l’an dernier compte la commission nationale interministérielle de lutte contre le travail illégal. Justine Godey, avocate au sein du cabinet La Garanderie et spécialiste de la gestion du droit du travail, justifie ce boom du recours au travail détaché par un avantage financier. « Lorsqu’un salarié est détaché, il est rattaché à la sécurité sociale de son pays d’origine, explique-t-elle. Or, les charges sociales françaises restent perçues parmi les plus lourdes d’Europe. Il y a donc plus d’attrait pour une société française d’avoir recours à des travailleurs détachés dont le coût semble moins élevé. » Et avec eux, les fraudes ont aussi explosé. On dénombrait 453 amendes en 2016, soit 2,4 millions d’euros. En 2017, 1034 amendes ont été distribuées pour un montant de 5,9 millions d’euros. Plus du double donc. « Chacune des 16 mesures n’apparaîtra pas dans l’ordonnance finale mais pourra trouver d’autres vecteurs législatifs» précise Justine Godey. Cependant, toutes « renforcent les lois qui existent déjà en la matière. »

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Une harmonisation avec l’UE

Des règles sur le détachement des travailleurs régissent l’Union Européenne. Le 8 mars 2016, la Commission européenne a même proposé de les réviser afin de les adapter aux besoins actuels. Les propositions françaises pourront-elles s’y conformer ? « Il ne devrait pas y avoir de difficultés, estime l’avocate. La seule mesure qui semait un doute sur l’harmonisation avec le cadre européen était le droit de timbre de 40 € qui est supprimé. » Ce projet de « droit de timbre », qui imposait à toute entreprise souhaitant détacher un salarié de payer 40 €, a été abandonné et n’entrera pas en vigueur le 1er janvier 2018, comme prévu. En contrepartie, il a été proposé que soit mise en place une nouvelle sanction, sous la forme d’une contribution forfaitaire, uniquement due par les prestataires ayant fait l’objet d’une pénalisation pour le manquement à une obligation en matière de détachement.

Des sanctions durcies

« Le reste des mesures annoncées était déjà existant, continue la spécialiste. Elles sont avant tout un renforcement de celles qui existaient déjà. Depuis la loi Savary en 2014, de plus en plus de sanctions dissuasives se mettent en place. » Parmi les 16 mesures, le gouvernement prévoit d’augmenter le plafond des amendes de 2000 à 3000 euros, d’améliorer la transmission des procès-verbaux entre services, d’établir des cartographies par secteurs d’activé afin de mieux connaître les métiers et mieux évaluer les zones de risque… mais pour Maître Godey, les deux mesures les plus fortes sont l’instauration du « name & shame » et la suspension d’activité.

Une dénonciation publique

Le « name & shame » instaure la diffusion des noms et des sanctions des entreprises, condamnées ici pour fraude, sur un site internet officiel du gouvernement. Une méthode qui a fait ses preuves Outre-Atlantique et qui est reprise depuis peu par la France. « C’est une mesure que je trouve extrêmement dissuasive pour les employeurs français recourant à des contractants extérieurs qui affichent des prix douteusement attractifs » confie Justine Godey. Autre proposition qui se révélera sans doute dissuasive pour l’avocate : la suspension d’activité. Muriel Pénicaud prévoit, en effet, d’étendre les pouvoirs du Préfet afin qu’il puisse, lorsque l’emploi illégal d’un salarié est découvert, exiger l’arrêt temporaire de l’activité de la société et, ce, dans tous les secteurs d’activité.

Un grand chantier

Enfin, la commission s’est intéressée à l’un des grands chantiers qui attendent la France d’ici 2024 : les jeux olympiques de Paris. Elle incite les partenaires institutionnels à s’engager à appliquer une charte sociale « Paris 2024 », effective pendant la construction et l’organisation de l’événement. Ces grands chantiers riment avec travail détaché et sont une source potentielle de hausse des fraudes. Maître Godey en témoigne : « Lors du championnat d’Europe de football en 2016, plusieurs de mes clients, qui exercent par exemple dans le secteur du transport de matières énergétiques, ont connu une hausse considérable et ponctuelle de leur activité et n’auraient pas eu les effectifs nécessaires pour répondre à cette demande s’ils ne recouraient pas au travail détaché. »

Ne pas limiter, mais encadrer

Mais l’augmentation du nombre de travailleurs détachés n’est pas un souci pour le gouvernement français. La lutte s’axe uniquement sur la fraude. « Le travail détaché est en constante augmentation et va de pair avec la mondialisation. L’objectif du gouvernement n’est pas de mettre un terme au détachement mais de l’encadrer avec des règles. »

Les propositions retenues seront réunies dans une ordonnance prévue dans la réforme du Code du travail. Elle pourrait être adoptée en conseil des ministres en mars, selon Les Echos. L’avenir s’annonce donc sombre pour les entreprises frauduleuses qui risquent « une quadruple condamnation : une amende plus lourde, une contribution dont le montant n’est pas encore fixé compensant la suppression du « droit de timbre », une mesure de suspension d’activité et être nommées publiquement par l’administration. »

 

Melissa Carles 

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