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Association Apesa : « les suicides de chefs d’entreprises peuvent être évités »

Association Apesa : « les suicides de chefs d’entreprises peuvent être évités »

« Un patron de PME se suicide tous les deux jours » déclarait en 2014, Geoffroy Roux de Baizieux, vice-président du Medef. « L’important est-ce de les compter ou d’agir pour les aider ? » interroge Marc Binnié. Il est, depuis 2013, le président d’Apesa, une association qui propose aux entrepreneurs en souffrance un soutien sur la base du bénévolat. L’initiative se déploie sur toute la France à travers 20 juridictions et a déjà formé 500 sentinelles, des professionnels au contact des entrepreneurs (comme des avocats, des experts comptables…) qui, de façon bénévole, proposent l’aide d’Apesa aux chefs d’entreprises en mal-être qu’ils rencontrent. Déjà 430 alertes ont été prises en charge par l’organisation.

Le suicide des chefs d’entreprises : un sujet  tabou

Le droit manque d’humanité selon Marc Binnié. « On ne parle pas des difficultés des entrepreneurs, seulement des entreprises » dénonce-t-il. Une récente étude a d’ailleurs prouvé que l’état de santé d’une société influençait à 70% celle du chef d’entreprise. « Il faudrait être plus dans la nuance : lorsque l’on annonce à un dirigeant qu’il va être « liquidé » cela est dur à entendre, le mot fait froid dans le dos » prend-t-il comme exemple.

Greffier en tribunaux de commerce, le président d’Apesa voit quotidiennement des chefs d’entreprises s’effondrer en audience. « C’est la fin d’un rêve, cela est difficile pour eux. » L’idée de monter une structure pour aider ces entrepreneurs en détresse lui est venue lorsqu’il assistait à une conférence sur la prévention du suicide en milieu carcéral, menée par Jean-Luc Douillard, psychologue clinicien. « Il m’a fait comprendre que l’on pouvait les aider. Parler de suicide à une personne qui n’y pense pas ne l’incitera pas à passer à l’acte. Dès lors, nous avons élaboré le dispositif, où le suicide n’est pas un sujet tabou. Cela permet d’établir une frontière à ne pas franchir pour l’entrepreneur. »

« 5 consultations permettent de faire passer les idées suicidaires »

Il y a deux façons de bénéficier du dispositif Apesa : les chefs d’entreprise contactent directement Apesa, ou une sentinelle détecte un dirigeant en danger et lui propose une aide. Si le chef d’entreprise accepte (ce qui a toujours été le cas selon Marc Binnié), une fiche d’alerte est envoyée à une plateforme d’assistance santé et prévoyance nantaise appelée « Ressources Mutuelles Assistance ». Celle-ci rappelle le dirigeant dans les 24 heures pour établir un bilan psychologique. Il est totalement anonyme et mené par un professionnel. Selon le diagnostic, 5 consultations gratuites sont offertes au chef d’entreprise avec le psychologue le plus proche de chez lui et le plus adapté à sa situation. Ce nombre de consultations est suffisant pour faire passer les idées suicidaires du patient. Mais 3 entretiens sont suivis en moyenne. Les entrepreneurs sont ensuite rappelés six mois après pour un bilan.

« L’économie ne se construit pas avec des chefs d’entreprises fragilisés »

Traiter la détresse d’un chef d’entreprise n’est pas simple. « Les difficultés peuvent venir dans les deux sens, précise Marc Binnié. Soit les problèmes financiers engendrent un état psychologique préoccupant, soit ce sont des difficultés psychologiques qui entraînent la faillite de l’entreprise. Il faut donc tout traiter : les soucis de santé, de psychologie, de couple et financiers. » Apesa a donc opté pour rémunérer ses psychologues : un système qui fonctionne puisque dans certaines villes comme Cherbourg ou Bordeaux, il n’y a plus de suicide de chefs d’entreprises depuis que le dispositif a été mis en place.

 

Mais l’association rencontre aussi quelques difficultés : « on est confrontés à des juges qui refusent de donner l’alerte par peur que cela impacte leur impartialité ou des avocats qui craignent de briser leur secret professionnel ». Marc Binnié continue donc de convaincre les professionnels de dépasser leurs craintes liées aux impératifs de leurs métiers et rappelle que le mal-être et le risque suicidaire concerne tous les chefs d’entreprises. « Il n’y a pas que l’échec qui dévore. Le fait de ne pas avoir de limites, de cumuler les challenges peut être grisant mais si on ne se ménage pas, on risque de finir entre quatre planches. »

 

Melissa Carles

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