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Les effets des plateformes collaboratives sur l'emploi

Uber, Blablacar, Airbnb, ces entreprises de l'économie collaborative ne sont pas sans poser un certain nombre de questions. Constituent-elles un nouveau vivier d'emplois ou sont-elles destructrices d'emplois ? Fragilisent-elles notre modèle social ou sont-elles l'occasion de le renouveler ? C'est à ces questions que tente de répondre la Dares dans une étude publiée ce mois-ci.

Les effets des plateformes collaboratives sur l'emploi

Si la Dares reconnaît qu’il est difficile de définir les contours exacts de l’économie collaborative, elle identifie toutefois plusieurs caractéristiques propres à distinguer l’économie collaborative des autres entreprises de l’économie marchande :

  • une externalisation poussée de la production ;
  • une multitude de producteurs indépendants ;
  • l’utilisation des technologies numériques ;
  • des producteurs qui ne sont pas nécessairement des professionnels mais peuvent aussi être des particulier.

Surtout, elle soulève de nouvelles questions en matière de droit du travail et de protection sociale, le statut de ces travailleurs étant pour le moins flou.

Incertitudes sur l’impact des plateformes sur le travail indépendant

La première question que soulève la Dares est celle de l’impact de l’essor des plateformes collaboratives sur le marché du travail. L’ont-elles sensiblement modifié par un accroissement du nombre de travailleurs indépendants ou pluri-actifs ? La Dares reste prudente. « En France, la part des non-salariés dans l’emploi total a légèrement augmenté depuis le début des années 2000 après des décennies de baisse. Ce retournement s’est toutefois produit avant des plateformes. Il est à mettre en relation avec la création du statut d’auto-entrepreneur qui a  pu faire progresser à la fois la réalité du travail indépendant et son enregistrement statistique ».

« L’observation de la pluriactivité ne donne pas non plus de résultats très solides », poursuit la Dares.Toutefois, note-t-elle, « l’augmentation du nombre de pluriactifs dont le second emploi est un emploi d’indépendant sans salarié a progressé plus vite que l’ensemble des pluriactifs au Royaume-Uni, en Espagne et en France ». Un constat qu’elle ne relie pas directement à l’essor des plateformes collaboratives.

Un risque de polarisation du marché du travail

L’une des spécificités de ces plateformes collaboratives, soulignée par l’étude, est l’externalisation du travail. « Le segment le plus important de l’activité ne se situe pas à l’intérieur de la firme mais à l’extérieur ; ainsi, Uber emploie moins de 1 000 salariés mais compte plus d’un million de chauffeurs associés ». Et de poursuivre : « Si ce modèle se généralisait, une part conséquente de la production serait assurée hors du cadre traditionnel de l’entreprise et de la relation classique d’emploi. L’économie des plateformes peut donc faire voler en éclat le statut de salarié tel qu’il a été construit tout au long du XXe siècle, un statut qui en échange de la subordination à l’employeur offre de nombreuses garanties matérielles ».

La Dares souligne ainsi la fragilité du statut de ces travailleurs qui, bien qu’indépendants sont économiquement dépendants, sans pour autant bénéficier des garanties accordées aux salariés. « Ils tirent la majorité voire la totalité de leurs revenus de cette activité et les plateformes exercent un contrôle important sur leur travail via le système de notation, mais aussi et surtout parce qu’elles peuvent décider d’exclure un membre en le déconnectant. Le travailleur peut ainsi se retrouver privé de son emploi sans bénéficier des protections concernant le licenciement, puisqu’il n’est pas salarié ».

Pour autant, ce modèle peut-il présenter des avantages pour certains travailleurs ? Ils « peuvent ainsi proposer une alternative à l’emploi classique qui convient mieux aux préférences de certains travailleurs, justement en raison d’une flexibilité accrue en termes de temps de travail et d’horaires et de la possibilité de travailler à domicile et hors d’un collectif de travail traditionnel ». La Dares note aussi que la mise en relation directe avec les offreurs est susceptible d’accroître le niveau d’emploi.

Toutefois, souligne le document, le risque n’est pas exclu d’une plus grande « polarisation du marché du travail » avec le développement des plateformes collaboratives. « La diffusion des TIC créerait d’une part des emplois hautement qualifiés et rémunérés et contribuerait d’autre part au développement d’emplois peu qualifiés dans les services à faible productivité donc mal rémunérés ».

Création d’un troisième statut ou extension du droit existant ?

Reste à savoir s’il faut – et comment – encadrer davantage ces activités. La Dares note des balbutiements dans l’élaboration d’un cadre juridique. La loi Travail du 8 août 2016 comporte ainsi plusieurs dispositions sur l’assurance en matière d’AT-MP, la formation des travailleurs ou bien encore la défense de leurs intérêts collectifs.

Mais certains souhaitent aller plus loin et préconisent la création d’un troisième statut pour ces travailleurs. La Dares se montre toutefois plutôt réservée sur cette proposition et ce, pour plusieurs raisons.

« Premièrement, il n’est pas évident que la création d’un troisième statut supprime le flou juridique et permette de répondre au problèmes des zones grises ». L’étude estime qu' »il semblerait difficile (…) de créer un nouveau statut auquel le critère de subordination ne pourrait être opposé, sans remettre fondamentalement en cause le statut de salarié et tout le droit du travail associé ». La Dares y voit plutôt le risque « de remplacer une frontière floue par deux délimitations qui auraient également chacune leur part d’incertitude. Elle risquerait aussi de favoriser la requalification abusive de travail salarié en travail indépendant ».

La Dares exprime les mêmes réserves s’agissant des conséquences d’un troisième statut sur la protection sociale de ces travailleurs. Cela irait « à rebours des évolutions réglementaires françaises en la matière qui se sont plutôt dirigées dans le sens d’une harmonisation/convergence des régimes entre salariés et non-salariés et d’un rattachement des droits à la personne plutôt qu’à l’emploi et au statut (CPA) ».

Enfin, met en garde l’étude, « orienter le débat autour de la création d’un troisième statut occulte peut-être le fond du problème qui est de mieux clarifier le lien de dépendance des travailleurs aux plateformes ».

L’étude semble davantage se rallier au rapport Terrasse qui prône une extension du droit existant, notamment en matière de protection sociale. La Dares souligne en les multiples risques auxquels sont exposés ces travailleurs et contre lesquels il serait bon de les protéger (accidents du travail, maladies professionnelles, perte de leurs revenus en cas de dégradation de leur note ou d’une déconnexion imposée par la plateforme).

La question de la sécurisation de leur parcours est aussi centrale pour la Dares, ces travailleurs étant « fortement exposés aux risques liés à la pluriactivité et aux changements fréquents d’employeur ». Il s’agirait de mieux les intégrer au sein des dispositifs existants (CPA, VAE,…).

Enfin, autre recommandation : faire en sorte que « les données relatives à la notation des travailleurs par les utilisateurs puissent constituer une forme de qualification professionnelle ».

Un chantier qui reste largement ouvert pour l’heure…

 

(*) « L’économie des plateformes : enjeux pour la croissance, le travail, l’emploi et les politiques publiques »; d’Olivia Montel (Dares), Document d’études n° 213, août 2017.

 

Florence Mehrez

ActuEL RH

 

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