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Les inconnues de l'entretien professionnel
L’entretien professionnel a vocation à devenir un véritable outil au service de la politique de formation professionnelle. Reste, toutefois, à éclaircir plusieurs points. Décryptage avec Sabrina Dougados, avocate associée du cabinet Fromont Briens, au sein du pôle dédié au droit de la formation professionnelle.
Nouveau venu dans le code de travail, l’entretien professionnel, né de la loi sur la formation professionnelle du 5 mars 2014, s’impose désormais à toutes les entreprises. Et si sa mise en oeuvre laissée à la main des employeurs peut varier selon la culture de la société, sa taille, son secteur d’activité et les fonctions concernées (commercial, manager, ingénieur…), il doit répondre à des règles précises. Distinct de l’entretien d’évaluation, il remplace les autres entretiens (dont l’entretien « seniors ») et devra systématiquement être proposé à l’issue d’un congé de parentalité, d’un congé sabbatique, d’un arrêt maladie de longue durée, voire d’une mobilité volontaire sécurisée ou d’un mandat syndical.
Il concerne tous les salariés, qu’ils soient embauchés en CDD ou en CDI. Y compris les titulaires d’un contrat en alternance.
Logique de GPEC
Objectif de ce tête-à-tête ? Dresser le bilan du parcours professionnel du collaborateur, dessiner ses perspectives d’évolution professionnelle, notamment en termes de qualification et d’emploi, dans une logique de GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences).
Attention : l’entretien professionnel ne concerne pas l’évaluation du travail du salarié qui est effectuée dans le cadre de son entretien annuel. Il n’est pas non plus destiné à évaluer la charge de travail des salariés soumis à une convention de forfait-jours.
Reste que plusieurs inconnues persistent. « La loi formation est perfide, indique Sabrina Dougados, avocate associée au sein du cabinet Fromont Briens, lors d’un colloque organisé le 6 avril, par Centre Inffo et Dalloz formation. Avec la suppression de l’imputabilité fiscale des dépenses de formation, on pourrait penser qu’il n’y a plus de formalisme attaché à la réalisation des actions de formation dans les entreprises. Or, avec l’instauration des entretiens professionnels « renforcés » tous les six ans, c’est tout l’inverse qui se produit ».
Quel interlocuteur ?
Première difficulté : désigner l’interlocuteur chargé de mener à bien ces entretiens dans l’entreprise. Pas question, en effet, d’externaliser cette tâche. « Il s’agit d’une responsabilité intrinsèque de l’entreprise, la loi précisant que le salarié bénéficie d’un entretien professionnel avec son employeur », assure Sabrina Dougados.
Pour l’entretien biennal qui doit être mené auprès de chaque salarié ayant acquis au moins deux ans d’ancienneté, « on constate que la plupart des entreprises désignent les managers ». Avec en amont, des formations dédiées à la conduite de ce nouveau type d’entretien.
En revanche, le bilan récapitulatif, effectué tous les six ans, est, lui, confié aux responsables RH qui disposent « d’une meilleure connaissance des postes existants ainsi que des orientations et évolutions attendues des emplois et technologies dans l’entreprise ». Une étape indispensable même. D’autant que les services RH devront vérifier au cours de ce rendez-vous que le collaborateur a bien bénéficié au cours des six dernières années de tous les entretiens professionnels auxquels il avait droit et d’au moins deux des trois mesures suivantes : une action de formation, une certification, une progression professionnelle ou salariale.
Abondement correctif
Le non-respect de cette règle pour les entreprises d’au moins 50 salariés est loin d’être neutre puisqu’il entraîne des sanctions financières. Soit un abondement « correctif » sur le compte personnel du titulaire lésé de 100 heures et le versement de 3 000 euros à l’Opca dont dépend l’entreprise par salarié concerné (130 heures pour ceux qui travaillent à temps partiel et le versement de 3 900 euros). A défaut et en cas de contrôle, ce montant sera majoré de 100% et devra être versé au Trésor public. D’où l’importance de procéder dans les règles de l’art.
Mais l’exercice reste délicat. Car que se passe-t-il en cas de désaccord entre le salarié et son employeur sur les mesures (formation, certification, progression salariale ou professionnelle) mises en place ? Qui arbitre ? « S’agit-il de l’Opca ? Voire du service régional de contrôle dès lors que le versement de la sanction financière demeure soumise au contrôle des agents de la Direccte? », s’interroge l’avocate.
Traçabilité
Par ailleurs, les entreprises ont tout intérêt à « adapter leur système d’information RH pour conserver une traçabilité de ce tête-à-tête ». Un éventuel refus du salarié de se soumettre à ces nouveaux entretiens suppose, en effet, d’être formalisé. D’une part, pour éviter que la responsabilité de l’entreprise soit engagée. D’autre part, pour être dispensée « de verser la sanction financière au terme de l’entretien professionnel renforcée ».
L’avocate préconise de « prendre acte de ce refus éventuel du salarié par écrit, notamment par courrier recommandé avec AR ou remis au salarié contre décharge ».
Action de formation, une notion floue
Autre difficulté : déterminer le périmètre et l’acceptation d’une action de formation. C’est là que le bât blesse. Car, selon Sabrina Dougados, « la tentation est grande pour les entreprises de retenir une définition très large de la notion dès lors que le concept d’imputabilité fiscale des dépenses de formation a été supprimé ». Faut-il reprendre la définition donnée par l’article L6313-1 du code du travail ou peut-on inclure d’autres modes d’apprentissage, tels que le tutorat ? Quid également du e-learning et des Mooc (Massive Open Online Course) ? Les formations ouvertes ou à distance (FOAD) doivent, en effet, répondre aux critères récemment définis par le décret du 20 août 2014 notamment en termes d’encadrement pédagogique, d’accompagnement et d’assistance des stagiaires, des modalités d’évaluation…
Autre casse-tête : la définition de la notion de progression salariale. Toute la question étant de « savoir si ce terme inclut à la fois des augmentations collectives et individuelles, poursuit Sabrina Dougados. Contrairement à l’Ani de 2013, la loi ne fait pas mention de mesures collectives ». De même la question de l’attribution d’une prime n’est pas totalement tranchée. « Et peut, en effet, être considérée comme une mesure individuelle dès lors qu’elle permet de démontrer que le salarié n’est pas resté statique au regard de ses conditions d’emploi sur les six dernières années ».
Des ambiguïtés subsistent aussi concernant la progression de carrière. S’agit-il d’une progression nécessairement « verticale » ou d’une évolution professionnelle qui se traduit, par exemple, par un changement de métier sans pour autant induire une progression dans la classification et/ou l’échelon ?
L’atout des accords internes
Selon Sabrina Dougados, la négociation d’un accord collectif peut permettre de contourner ces non-dits. Et ce, « dans l’attente des premières décisions jurisprudentielles qui ne devraient pas voir le jour avant 2020 (échéance de mise en place des premières vagues d’entretiens renforcés) ». « Car ce travail d’appropriation peut être un bon moyen de s’accorder avec les partenaires sociaux concernés sur le périmètre et la portée de ces mesures », ajoute l’avocate. L’objectif étant, in fine, de bien maîtriser ce nouvel entretien pour qu’il devienne un véritable outil de carrière.
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