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Portabilité de la mutuelle : comment les entreprises compenseront-elles le surcoût?

A partir du 1er juin prochain, tous les anciens salariés d'une entreprise, à l'exception des démissionnaires, devront bénéficier à titre gratuit du maintien de leur couverture santé dans le cadre de la portabilité. Reste pour leur employeur à financer cette nouvelle obligation.

Portabilité de la mutuelle : comment les entreprises compenseront-elles le surcoût?

La pilule risque d’être amère. C’est dès le 1er juin prochain que les entreprises du secteur privé devront appliquer les nouvelles règles de portabilité des droits en matière de santé, décidées par la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 (la portabilité de la prévoyance est, elle, reportée au 1er juin 2015). Or, le texte a profondément bouleversé les dispositions jusqu’ici en vigueur. Tout d’abord, parce qu’il généralise la mutualisation du financement. Avec pour objectif le maintien de la couverture à titre gratuit pour les salariés partants alors que jusqu’ici ils pouvaient la cofinancer. Ensuite, parce qu’il allonge la durée maximale de maintien des droits de trois mois (passant ainsi de 9 mois à 12 mois).

Le surcoût pourrait varier « entre 1,5% et 7,8% »

Ces modifications entraîneront un surcoût pour l’employeur. Pour Optimind Winter, cabinet de conseil en actuariat, il pourrait représenter une hausse de la cotisation santé de l’ordre de 2% à 4%. Adding, société d’actuariat et de conseil en rémunération et en protection complémentaire estime, de son côté, que cette nouvelle obligation pourrait se traduire par une augmentation comprise entre 1,5% et 7,8% de la masse salariale en fonction de la politique RH menée par l’entreprise : nombre de ruptures conventionnelles (par rapport à des démissions non prises en compte dans la portabilité) ou recours aux CDD plutôt qu’à l’intérim (également sans effet).
Et ce, sans compter les secteurs dont l’activité est impactée par la saisonnalité ou encore d’éventuels plans sociaux. Les entreprises devront, en effet, proposer cette couverture à tous les salariés dont la rupture du contrat ouvre droit à l’assurance chômage. Comment compenser ce surcoût ? Toutes n’ont pas encore pris la mesure du problème.

Augmentation des cotisations

Un grand nombre de sociétés s’orientent toutefois vers une augmentation des cotisations, avec une répartition à part égale entre employeurs et salariés. Chez Electro-Dépôt, spécialiste low cost de l’électrodomestique (électroménager, image, son, micro, multimédia), par exemple, « cette charge représente 36 euros annuels supplémentaires pour l’ensemble des collaborateurs », assure Stéphane Wilmotte, DRH de l’entreprise.
Le plus souvent, l’augmentation s’est faite dès le 1er janvier pour lisser l’impact de cette portabilité. « Cela évite de majorer la cotisation en cours d’année, le 1er juin, relève Pierre-Alain Boscher, directeur métier protection sociale d’Optimind Winter. Même si l’effet d’une année complète de portabilité devra totalement être intégré à compter du 1er janvier 2015 ». D’où un montant de cotisation forcément plus élevé l’année prochaine.

Baisse du niveau des garanties

D’autres vont opter pour une solution alternative en se résignant à des coupes claires dans les budgets de remboursement des frais. C’est l’idée avancée par Schlumberger (services pétroliers) qui réfléchit à une révision de ses niveaux de garantie. « Ces marges d’action sont probables, fait savoir la DRH, car notre mutuelle est extrêmement généreuse, notamment en matière de remboursement des frais optiques et dentaires ».
Idem au sein du groupe CGI (conseil en informatique) qui a mis en place un plafonnement du montant de ses remboursements. C’est le sens de son dernier accord, signé en 2013 par l’ensemble des syndicats, à l’exception de la CGT, appliqué depuis janvier dernier. En contrepartie, les cotisations des salariés ont été revues à la baisse, l’entreprise prend à sa charge 60% des coûts et le salarié 40%. « Ces nouvelles mesures (incluant un changement d’assureur) permettent de garder notre régime à l’équilibre tout en intégrant les nouvelles obligations sur la portabilité », insiste Didier Baichère, vice-président ressources humaines de CGI en France, Maroc et Luxembourg. D’ailleurs, la mutualisation du financement est déjà à l’œuvre dans le groupe depuis le 1er juillet 2009, à la suite de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2008. Le maintien des garanties est financé par les actifs. D’où « un impact limité », selon le DRH. Même si, pour l’heure, l’entreprise « manque encore de visibilité sur le coût de la prévoyance qui sera intégré dans le dispositif de la portabilité le 1er juin 2015 ». Pour éviter toute déconvenue, un point sera fait chaque année pour évaluer précisément le coût de cette charge supplémentaire.

Sans modification pour les régimes excédentaires

Les plus chanceuses ne modifieront pas le niveau de leurs cotisations. C’est le cas, par exemple, d’Alstom. « Les résultats excédentaires de notre régime ont permis de constituer des réserves supérieures à nos besoins, observe Nicolas Jacqmin, DRH France. Cette nouvelle portabilité n’entraînera donc pas de coût supplémentaire pour le salarié ». Une promesse consignée dans l’avenant de l’accord sur la santé, signé le 31 octobre dernier, et paraphé par la CFE-CGC, la CFDT et la CGT. S’y ajoutera même une prestation dépendance pour les 18 000 salariés français. Le tout avec un taux de cotisation équivalent.

Le pire est-il à venir ?

Reste que ce type de pratiques est encore rare. D’autant que pour certaines, « le réveil sera brutal, prédit Jean-Philippe Allory, directeur général associé d’Adding. Quelques sociétés vont découvrir que le surcoût de la portabilité pourrait être bien supérieur à celui escompté. En particulier dans les entreprises fonctionnant sur le modèle du stop and go (ruptures conventionnelles, CDD) ». La facture pourrait alors s’envoler au-delà des « 15% des cotisations santé ». A moins d’y ajouter une franchise, « en fonction de l’ancienneté des salariés, rappelle Pierre-Alain Boscher. Dans ce cas, seuls les contrats de travail d’une certaine durée pourraient bénéficier de la complémentaire santé et donc des effets de la portabilité, ce qui limite le coût lié aux CDD de courte durée ».
Mais surtout, une telle dérive risque de mettre à mal le dialogue social. Car « les partenaires sociaux ne cautionneront jamais ce type de politique RH », poursuit Jean-Philippe Allory. A charge pour les DRH d’affûter leurs arguments pour les convaincre du bien-fondé de leurs méthodes lors des négociations. Mais la partie est loin d’être gagnée !

En cas de liquidation judiciaire   
La mesure est presque passée inaperçue mais elle figure bien dans la loi sur l’emploi. L’article 4 prévoit, en effet, que le gouvernement doit remettre, avant le 1er mai prochain, un rapport au Parlement sur les modalités « de prise en charge des couvertures santé et prévoyance pour les salariés lorsqu’une entreprise est en situation de liquidation judiciaire ». Plusieurs pistes sont à l’étude: « la création d’une taxe (ou l’augmentation d’une taxe existante) pour alimenter un nouveau fonds de mutualisation, voire le régime de garanties des salaires (AGS) ou une gestion ad hoc par les branches professionnelles », détaille Jean-Philippe Allory, directeur général associé d’Adding. Reste à savoir quels seront les niveaux de garantie de cette couverture. Avec ici, deux possibilités,  » une prise en charge équivalente au régime existant dans l’entreprise défaillante ou alors un régime d’autorité prédéfini ». A suivre !  

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