Interview
Boris Golden, co-fondateur de la start-up Pealk
Cette start-up a connu un démarrage prometteur avec son application facilitant la recherche et le contact de professionnels sur LinkedIn. Mais elle a été stoppée net dans son envol par le réseau social qui lui a, du jour au lendemain, interdit de poursuivre son activité. Ou quand David se heurte à Goliath…
Comment est né Pealk ?
Le projet Pealk a démarré il y a un an. A l’époque, nous étions (avec Yann Hourdel, Nicolas Lemonnier et Anthony Simon, les autres co-fondateurs, NDLR) sur une autre start-up, dans le cadre de laquelle nous utilisions beaucoup LinkedIn. On s’est rendus compte qu’il y avait des choses à faire pour l’améliorer et on a commencé à développer un outil en interne. L’idée est partie de là : pourquoi ne pas en faire un business ?
Notre application est destinée aux recruteurs, business développeurs ou même commerciaux qui passent beaucoup de temps sur LinkedIn. Elle offre en version freemium une interface de productivité qui permet d’aller beaucoup plus vite dans les tâches d’identification de personnes, d’organisation des dossiers, dans le passage en revue des profils et la sélection de ceux qui sont intéressants, et enfin dans l’envoi d’un message et le suivi des retours. Une offre premium, donc payante, était également prévue dans un second temps.
Pourquoi avoir choisir de vous greffer à LinkedIn ?
On a décidé de se concentrer sur eux car c’est le premier réseau professionnel dans le monde, le plus intéressant aussi pour des jeunes entrepreneurs comme nous.
C’était un risque, c’est clair, mais on a misé dès le départ sur la collaboration avec eux. On n’essayait pas de les contourner : on utilisait leur API (interface qui permet à d’autres logiciels d’utiliser LinkedIn). Et puis on les a contactés dès que l’on a sorti une version bêta. On n’avait pas d’autre choix que d’aller jusqu’au prototype car sinon il n’aurait pas été possible d’échanger avec eux.
Comment se sont passés vos premiers contacts avec eux ?
La première fois qu’on a échangé, c’était par téléphone, début avril. On avait alors 200 utilisateurs. On était au bon niveau hiérarchique pour les partenariats, chez LinkedIn US. En amont, on leur avait envoyés des documents décrivant ce qu’on faisait et comment on voulait travailler avec eux. L’accueil a été extrêmement positif. Ils appréciaient apparemment ce qu’on faisait.
A l’issue de cet échange, on était donc contents : il semblait que notre pari n’était pas absurde.
Derrière, notre produit a donc continué à évoluer, et nous à grandir : en moins de dix semaines, nous avions 2700 utilisateurs dans le monde, sachant que nous n’étions pas compatibles avec Internet Explorer, donc que nous nous fermions une bonne partie du marché !
Nous avons eu une bonne couverture média, ça buzzait bien, les utilisateurs étaient vraiment satisfaits.
Du côté de LinkedIn, les échanges continuaient, par email. Vu de notre côté, les interactions étaient très positives.
Là où l’on a pourtant commencé à se dire que ça pouvait être dangereux pour nous, c’est qu’il y avait quand même un certain nombre de personnes qui comparaient ce qu’on faisait avec ce que faisait LinkedIn et qui se demandaient pourquoi ce n’était pas eux qui le proposait.
Néanmoins, à ce moment-là, une bonne vingtaine de personnes chez LinkedIn avaient testé notre produit et ils n’avaient pas l’air d’en prendre ombrage.
A quel moment avez-vous senti le vent tourner ?
Il y a quelques semaines, une conférence téléphonique a été planifiée. Notre interlocuteur a commencé par nous poser plusieurs questions et, de fil en aiguille, il nous a finalement annoncé que le partenariat n’allait pas être possible. Concrètement, ils voulaient qu’on coupe l’application immédiatement, ce qui n’était pas possible ! On a simplement réussi à obtenir un délai de deux semaines.
On savait bien entendu qu’ils avaient un droit de vie ou de mort sur notre application, mais on a eu beau demander une explication, on n’en a pas obtenu. On a simplement compris à demi-mots qu’il y avait des gens en interne qui ne voulaient pas de ce partenariat. En même temps, il nous faisait plein de compliments sur notre produit, nous proposait même de nous faire venir à San Francisco pour des projets…
On est ressortis de cette conversation interloqués. On a réalisé que cela pouvait nous porter un coup fatal alors qu’on avait enfin développé un produit qui cartonnait.
Après l’entretien, j’ai même écris à notre interlocuteur en lui proposant de supprimer la moitié des fonctionnalités. A ce moment-là, on était en mode survie. Deux jours sont passés, au bout desquels la réponse s’est avérée négative, mais encore une fois sans explication. Nous avons trouvé ça un peu rude !
Quelle a été, alors, votre réaction ?
Après réflexion, nous avons rédigé un communiqué de presse expliquant qu’on allait être coupés et dans lequel on exprimait notre surprise.
Contre toute attente, ce CP a été très relayé avec une trentaine d’articles (blogs y compris), dont un sur un site de référence aux Etats-Unis.
Les représentants presse de LinkedIn ont alors contre-attaqué en contestant énergiquement notre version de l’histoire, arguant qu’ils nous avaient prévenus et que nous étions en violation avec les conditions d’utilisation de l’API. Sauf qu’au final les gens n’ont pas cru à cette histoire, surtout que leur position a évolué au fil des articles de presse.
On a d’ailleurs finalement appris les raisons officielles de cette coupure dans les médias : en construisant notre produit, on se mettait en compétition avec leurs propres projets. Mais ce qui est incroyable, c’est qu’ils ne nous l’ont jamais dit !
Au final, comment cela s’est-il conclu ?
Nous avons coupé l’application, comme ils nous l’avaient demandé, le 26 juin : on n’a pas voulu prêter le flanc aux critiques concernant le respect des règles. On a joué, on a perdu la partie et on ne peut d’ailleurs rien leur reprocher juridiquement. Néanmoins, même si l’on n’a pas dépensé des millions de dollars dans cet outil, la façon dont ça s’est passé a été désagréable.
Avez-vous un plan B aujourd’hui ?
Nous sommes en contact avec des concurrents de LinkedIn : ils sont moins gros, avec les avantages et les inconvénients que cela implique. On va voir si cela a du sens d’un point de vue business…
On songe aussi fortement à refaire un Pealk allégé pour LinkedIn, mais sans avoir besoin de l’API.
Parallèlement, on s’est engagés dans une démarche de protection intellectuelle. On dépose un brevet et on constitue un dossier extrêmement précis de tout ce qui s’est passé pour étayer le fait qu’ils ont cherché à nous éliminer pour ensuite nous copier, au cas où ils sortiraient quelque chose d’un peu trop ressemblant…
Et puis, nous avons prévu de nous rendre dans la Silicon Valley dans quelques semaines pour rencontrer plusieurs personnes, peut-être même LinkedIn. Ca dépend de leur bonne volonté…
Si l’on repart demain, ce sera avec une marque déjà connue, l’avantage d’une bonne réputation et une image de qualité. Ce qui n’est pas rien !
Moralement, en revanche, c’est plus dur : il faut encore redémarrer au moment où l’on avait trouvé un produit qui cartonnait. Mais on est très motivés, on cherche des solutions et on a envie de montrer qu’on ne se laisse pas faire. Aux USA, il est plus facile de trouver des investisseurs qui ont envie de parier qu’on peut gagner contre LinkedIn…
Propos recueillis par Nelly Lambert
Rédaction de NetPME
Pour en savoir plus : www.pealk.com
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