Interview

Jean-Christophe Sciberras, Président de l'association nationale des DRH

Contrat de travail unique, syndicalisme plus fort... Lors de ses dernières assises, l'association nationale des DRH (ANDRH) a mis sur la table des sujets parfois tabous : Jean-Christophe Sciberras, son président, s'explique.

Jean-Christophe Sciberras, Président de l'association nationale des DRH

L’ANDRH a relancé le sujet du contrat de travail unique (CTU) au cours de ses dernières assises. Pourquoi prônez-vous ce contrat à durée indéterminée qui ouvrirait progressivement à des droits et qui supplanterait les actuels CDD et CDI ?

Cela part d’un constat : avant d’entrer dans l’emploi, il existe aujourd’hui pour une part des jeunes actifs une phase longue d’enchaînement de stages et de CDD. Elle peut durer jusqu’à une dizaine d’années avec des effets négatifs : difficultés d’accession au marché immobilier et au crédit, accroissement de la dépendance par rapport à la famille. Le contraste saisissant entre salariés en contrat précaires et en CDI pénalise aussi les entreprises sous divers aspects.

Dans quelle mesure ?

Une entreprise doit avoir des salariés qui s’impliquent, prennent des risques. Les CDD sont évidemment prudents. Or, il faut se sentir embarqué dans une aventure commune. Les intérimaires et CDD ne sont pas autant impliqués dans les mêmes projets stratégiques que les personnes en CDI.

Est-il possible de mettre en place rapidement le CTU ? 

Des conditions doivent être réunies. Il faut que les partenaires sociaux s’emparent du problème pour qu’ensuite le législateur intervienne pour modifier fortement le code du travail. Cela prend du temps, mais cela peut se mettre en place au cours d’un quinquennat.

Cela aurait un impact fort sur le monde de l’intérim…

L’intérim continuerait de fonctionner, mais avec des salariés en CTU. Cela aurait pour effet d’inciter ces entreprises à replacer leurs intérimaires encore plus rapidement, puisqu’ils devraient les payer entre les missions. Certains secteurs fonctionnent d’ailleurs déjà comme cela aujourd’hui… Regardez les SSII : elles envoient des salariés en missions à durée déterminée chez leurs clients. Et quand il y a des interruptions de mission, il y a bien souvent de la formation pour aider à un replacement rapide. C’est un puissant levier. Il y a donc déjà sous nos yeux des formes actives de CTU…

Pour vous, le CTU est même un instrument de réconciliation sociale ?

Après la crise qui a écorné leur image, les entreprises doivent se demander quelles pratiques elles peuvent modifier pour se réconcilier avec le corps social. Le CTU serait un signal positif: on critique souvent le discours des enseignants sur le monde de l’entreprise. Mais quand ceux-ci voient leurs anciens élèves empiler stages et CDD, ils peuvent légitimement se dire qu’ils ne les ont pas formés pour cela…

Au cours de ses assises, l’ANDRH a également surpris en souhaitant un syndicalisme français plus fort. Pourquoi ?

Nous sommes un des pays du monde dans lequel les syndicats ont le plus petit nombre d’adhérents. Pourtant, le poids de la négociation collective y est de plus en plus important. Nous avons besoin d’accords, de trouver des points d’équilibre avec les partenaires sociaux en négociant au bon niveau et au plus près du terrain. C’est bien. Mais qui avons-nous en face de nous ? Des syndicats où les réunions des adhérents se font en petit comité alors qu’il s’agit de prendre des décisions importantes pour l’entreprise et où les grèves se décident bien souvent à une poignée. Cela ne va pas ! Il y a un décalage entre le discours des délégués et celui des salariés. Croyez-moi, je suis beaucoup moins inquiet lorsque je négocie au Japon, au Brésil, aux Etats-Unis ou en Allemagne, pays dans lesquels je n’ai aucun doute sur le fait que les syndicats représentent clairement la majorité des salariés.

Vous posez donc la question de la légitimité des syndicats français ?

Pas seulement. Qui dit petits syndicats dit peu de moyens financiers. Dans les pays où les syndicats comptent 70 à 80 % d’adhérents, qu’est-ce que l’on voit ? Des centrales syndicales qui ont les moyens de fonctionner, sont autonomes financièrement, qui ont le pouvoir de se doter de compétences techniques, de former. Au final, le dialogue y gagne en représentativité, mais aussi en qualité. Cela appelle un changement de mentalité aussi de nos entreprises. Il faut qu’elles considèrent l’adhésion à un syndicat comme un élément positif, renforçant l’efficacité du dialogue social donc de la performance globale de l’entreprise. Et il faut aussi qu’elles passent aux actes en facilitant le financement de l’adhésion syndicale.

Comment ?

En permettant de prélever la cotisation syndicale sur le bulletin de paie. C’est un système, qui semble impensable chez nous mais qui est d’une banalité totale dans la plupart des pays. Le législateur pourrait modifier le système pour permettre cela en France, où la loi l’interdit à ce jour. Cela resterait cependant préalablement soumis à un accord d’entreprise qui nécessite un rapport de confiance entre le management et les syndicats.

Vous prônez également une solution de déblocage des négociations par voie de référendum auprès des salariés. Pourquoi ?

Aujourd’hui, quand une négociation est bloquée dans une entreprise française, cela débouche dans la plupart des cas sur une décision unilatérale prise par l’employeur. Nous devons imaginer des solutions plus robustes. Certains pays prévoient le recours à des tiers, qu’ils soient juges ou médiateurs. Mais, au final, qui peut mieux décider pour les salariés que les salariés eux-mêmes? Consultons donc les principaux intéressés. Et quand les syndicats français auront 80 % d’adhérents dans une entreprise, il n’y aura plus besoin de référendum…

Pour atteindre de tels contingents, le syndicalisme français ne doit-il pas aussi se réformer ?

Il est vrai que le syndicalisme à la française est souvent radical comparé à beaucoup d’autres dans le monde. Cela tient au fait que les rangs de nos syndicats sont peu fournis et que ceux qui y figurent ont forcément des convictions fortes qui les ont amenés à s’engager. L’autre raison, c’est qu’il existe une concurrence forte entre syndicats. Enfin, il y a assez souvent une culture antisyndicale du côté patronal qui complique le tout. À partir du moment où les centrales auront une base plus large, il y aura des élus plus représentatifs. La solution est là !

Propos recueillis par Sébastien Payonne
Le Journal des entreprises

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