Interview

Yann Mauffret, gérant du Chantier du Guip, à l’île aux Moines (56)

Charpentier de marine, Yann Mauffret porte depuis près de trente ans le développement du Chantier du Guip, avec énergie et passion. Loin d’être un modèle courant d’artisan « qui a réussi », l’homme serait plutôt l’antithèse d’un businessman…

Yann Mauffret, gérant du Chantier du Guip, à l’île aux Moines (56)

La charpente marine avait-elle encore un avenir économique lorsque vous avez repris le Chantier du Guip en 1980 ?

Je suis venu au bois par la mer… J’avais envie de construire mon bateau, alors j’ai appris la charpente marine. J’ai ensuite découvert de quoi j’étais capable dans ce métier. Le Chantier du Guip, j’y suis allé avec un associé, par amour du patrimoine maritime, sans avoir d’analyse économique ni de business plan. Les bateaux en bois avaient alors quasiment disparu des ports, sauf dans le secteur de la pêche. Tous nos choix ont été guidés par des envies et une forte volonté. D’une petite activité dans un milieu réduit, le chantier s’est transformé en niche économique. On a senti qu’il y avait du travail, mais on ne se doutait pas qu’il y en aurait pour 30 salariés, répartis à Brest et sur l’île aux Moines aujourd’hui. Le profit n’est pas notre raison d’être, les bateaux en bois ne sont pas des produits de marketing. On est dans la qualité, la recherche de la perfection. On travaille sur des bateaux capables d’aller en haute mer et on doit aussi comprendre la navigation.

Entre restauration et construction, comment s’articule votre développement ?

Le Chantier du Guip a d’abord été identifié en restaurant des bateaux du patrimoine. Dès 1988, on s’est ouvert au yachting et à l’ébénisterie, visant le confort et l’esthétique du bois, avec plus de précision et de raffinement. 1992 a été un grand tournant, on s’est installé à Brest pour construire la Recouvrance (goélette symbole et ambassadrice de la ville de Brest, NDLR). Sa mise à l’eau a eu lieu devant la foule et en direct sur Thalassa (l’émission de France 3 consacrée à la mer, NDLR). Nous sommes alors devenus visibles et reconnus. Mais il nous a fallu ensuite inventer notre avenir à Brest, conserver nos embauches, évoluer vers la construction (15 % de l’activité) pour nous positionner sur le marché international de la belle plaisance. En 2007, notre extension d’atelier (multiplié par 2) a supposé un investissement de 750.000 euros : une bouffée d’oxygène qui nous a permis de mener plusieurs chantiers de front.

Vous avez décroché le prochain contrat d’entretien des quatre navires écoles de la Marine nationale pour trois ans. Un « joli coup » ?

C’est un chantier de prestige, car ces navires représentent la France dans le monde (L’Étoile, la Belle-Poule, le Mutin et la Grande Hermine). Ce contrat d’1,5 million d’euros, soit la moitié de notre chiffre d’affaires pendant trois ans (2009-2011), va aussi nous permettre de passer au-dessus de la crise.
Ces quatre voiliers du patrimoine naviguent beaucoup, il faut les maintenir en condition opérationnelle. Nous serons en co-traitance avec Navtis qui assurera la partie mécanique de l’entretien (20 %). Je pense que nous avons été crédibles en termes de prix et de délais dans cet appel d’offres. C’est la victoire de notre métier.

Votre prochain chantier pour restaurer le Biche de Groix va vous mener à Lorient. De façon durable ?

C’est un gros défi car on a sauvé ce thonier à voile de la casse à Douarnenez. C’était le dernier en Bretagne Atlantique. C’est un projet de restauration globale qui reçoit le concours financier de partenaires à la fois publics (40 %) et privés (60 %). À Lorient, on bénéficie d’infrastructures portuaires intéressantes, six personnes y travailleront à temps complet. Nous avons déjà eu l’occasion de déplacer notre chantier, au Lac Léman et à Genève, ce n’est pas toujours simple. C’est une demande récurrente, mais nous n’avons pas vocation à essaimer ainsi. Le Biche de Groix est un cas de figure, on y va parce qu’il faut y aller! Cela suppose un lourd investissement en 2009 (250.000 euros), d’autant que nous devons ensuite rénover l’atelier de l’île aux Moines et finir l’extension de Brest.

Propos recueillis par Marguerite Castel
Le Journal des Entreprises

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