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L’obligation de mise en garde du banquier

Pendant une décennie, la première chambre civile et la chambre commerciale se sont opposées sur la question de la responsabilité des dispensateurs de crédit pour octroi d’un crédit jugé excessif par rapport aux capacités de remboursement de l’emprunteur.

Dès 1995, la première chambre civile de la Cour de cassation imposa au banquier de se soumettre à un devoir de conseil. Celui-ci consistait à « mettre en garde » les emprunteurs sur l’importance de l’endettement lié aux prêts souscrits. Le banquier qui accordait un crédit excessif manquait donc à son obligation de conseil et ce même dans l’hypothèse où les emprunteurs connaissaient parfaitement les risques qu’ils encouraient pour en avoir été informés par un autre établissement de crédit. La portée de ce devoir et même la qualification retenue étaient alors controversées. Certains auteurs ont en effet qualifié le devoir de conseil consacré par la première chambre civile de « devoir négatif », devoir qui s’analysait en réalité en une « mise en garde ».

La chambre commerciale avait, de son côté, exclu expressément l’existence d’un tel devoir décidant que le banquier, dispensateur de crédit, n’est « débiteur d’aucune obligation de conseil envers son client ». Ainsi, la chambre commerciale déniait au banquier un quelconque devoir de conseil ou de mise en garde envers son client et justifiait cette position par le devoir de non-ingérence du banquier dans les affaires de son client.

Toutefois, par 3 arrêts rendus le 11 mai 1999 , la chambre commerciale de la Cour de cassation opéra une distinction entre emprunteur profane et averti. C’est ainsi que, sans revenir sur sa jurisprudence antérieure, la chambre commerciale estima qu’un devoir de conseil se justifiait à l’égard des personnes ne disposant pas d’informations suffisantes et qui ne seraient pas compétentes pour les exploiter utilement.

La clarification de la jurisprudence fut opérée par quatre arrêts de principe rendus par la chambre civile de la Cour de cassation le 12 juillet 2005, complétés par deux arrêts postérieurs du 02 novembre 2005 et du 21 février 2006. La première chambre civile affina sa doctrine en introduisant une distinction entre caution ou emprunteur averti et profane, instaurant un régime de responsabilité propre à chaque catégorie. Lorsque la responsabilité du banquier est recherchée par une caution ou un emprunteur averti, la première chambre adopte la jurisprudence de la chambre commerciale : la caution ou l’emprunteur ne peut rechercher la responsabilité de la banque que si cette dernière ne lui a pas transmis une information que lui (ou elle)-même ignorait. L’emprunteur ou la caution profane peut quant à lui (ou elle) se prévaloir d’un manquement du banquier à son devoir de mise en garde.

A la suite de la prise de position de la première chambre civile, il s’avérait nécessaire que la chambre commerciale prenne position à son tour. Implicitement par 3 arrêts du 03 mai 2006 , la chambre commerciale admit l’existence d’un devoir de mise en garde de la banque au bénéfice des emprunteurs ou cautions profanes dont la situation personnelle justifie une protection particulière.

Enfin, par deux arrêts rendus le 29 juin 2007 en chambre mixte, la Cour de cassation a confirmé l’existence d’une obligation de mise en garde pesant sur la banque à l’égard des cautions ou emprunteurs non avertis (Cass. mixte, 29 juin 2007, deux arrêts publiés, n° 05-21.104, Epoux X et n° 06-11.673, Mme Régine Y).

Dans la première espèce, l’emprunteur était un agriculteur qui avait souscrit une quinzaine de prêts. Des échéances étant demeurées impayées, la banque avait alors assigné en paiement l’emprunteur et sa mère, à titre de caution, lesquels s’étaient prévalus d’un manquement de la banque à son obligation de conseil et d’information. Les juges du fond avaient rejeté les demandes de l’emprunteur et de sa caution, aux motifs que la banque n’avait pas d’obligation de conseil à l’égard de l’emprunteur professionnel ou de sa caution et n’avait pas à s’immiscer dans les affaires de son client ou à procéder à des investigations sur sa solvabilité.

Dans la seconde espèce, une institutrice, assignée en paiement des échéances impayées d’un prêt qu’elle avait souscrit avec son époux pour l’ouverture du restaurant de ce dernier, se prévalait d’un manquement de la banque à son obligation d’information quant aux risques qu’elle avait encourus alors qu’elle ne pouvait être considérée comme un emprunteur averti. Mais la Cour d’Appel avait jugé que, compte tenu de l’expérience professionnelle de l’époux, les co-emprunteurs étaient en mesure d’appréhender les risques de l’opération et que la banque n’avait aucune obligation de conseil ou d’information envers eux.

La Cour de cassation a censuré les juges du fond en soulignant qu’ils auraient dû préciser si les intéressés étaient des cautions ou emprunteurs non avertis et rechercher si cette qualité n’obligeait pas la banque à les mettre en garde à raison de leurs capacités financières et des risques de l’endettement nés de l’octroi des prêts en cause. La Cour de cassation confirme ainsi l’existence d’une obligation de mise en garde pesant sur le banquier à l’égard des emprunteurs et cautions non avertis, qualité devant être appréciée in concreto.

Grégory DAMY – Avocat Docteur en droit
Site internet : http://gregorydamy.niceavocats.fr

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