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Comment gouverner la santé au travail?

Depuis l'automne, un groupe de travail se réunit au sein du Conseil d'orientation sur les conditions de travail pour réfléchir à sa gouvernance, partant du constat que le Coct ne participe pas assez à la construction de la politique de santé au travail. Des propositions viennent d'être adoptées. La principale appelle à "légitimer et organiser la place des partenaires sociaux".

Comment gouverner la santé au travail?

« Les chiffres sont éloquents », fait remarquer Christian Lenoir, secrétaire général du Coct (conseil d’orientation sur les conditions de travail) : en 2013, le Coct a tenu 7 réunions correspondant à sa fonction d’orientation et 46 réunions pour ses missions consultatives. « Nous sommes consultés sur les projets de loi et sur les projets de décrets ; la fonction consultative du Coct est très structurée et développée », raconte son secrétaire général. Mais pour ce qui est de participer à l’élaboration de la politique nationale en matière de protection et de promotion de la santé au travail, le Coct reste délaissé. « Cette mission est pourtant claire dans les textes : le Coct doit être un lieu majeur de la santé au travail, il doit être pro-actif », note Christian Lenoir. Pour ce faire, le groupe de travail tripartite (1) qui se réunit depuis l’automne pour plancher sur la gouvernance du Coct propose d’abord de renforcer dans l’instance la présence effective des partenaires sociaux.

Dix réunions et quelques « grosses engueulades »

Il y a un an, la conférence sociale constatait officiellement les lacunes du Coct et y répondait en affirmant le besoin d’une nouvelle dynamique et en décidant dans la feuille de route de la mise en place de ce groupe de travail chargé de présenter des propositions pour améliorer le pilotage de la prévention des risques, « notamment par le renforcement du Coct ». Dix réunions de travail plus loin, assorties de près d’une quarantaine d’auditions et de quelques « grosses engueulades, au sens noble », selon un représentant syndical, une synthèse et des propositions viennent d’aboutir. Non encore publiées officiellement, nous avons obtenu une copie et Christian Lenoir en a présenté les grandes lignes lors de son intervention en ouverture du congrès Santé-Travail de Lille début juin.

Depuis le printemps 2009, le Coct a pris le relais du CSPRT (Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels), il est composé d’un comité permanent présidé par le ministre du travail, d’une commission générale et de six commissions spécialisées, et se décline au niveau régional via les CRPRP (comités régionaux pour prévention des risques professionnels).

« Objectiver et légitimer la place des partenaires sociaux »

La première proposition se veut « transversale » et repose sur une « idée centrale » : « la politique de prévention des risques professionnels, et plus largement de promotion de la santé au travail, par sa nature même, requiert une nouvelle dynamique associant à l’État les acteurs essentiels que sont les partenaires sociaux dans le respect des prérogatives de chacun ». Il s’agit, précise Christian Lenoir, d' »objectiver et légitimer la place des partenaires sociaux dans la gouvernance du système, avec une idée forte : la responsabilité de la politique à conduire est bien du ressort de l’État, il n’y a pas de doute là-dessus ».

Une instance tripartite « force de proposition »

Pour « résorber le déséquilibre structurel actuel » entre les deux missions d’orientation et de consultation du Coct, le groupe de travail propose donc une réorganisation en plusieurs instances et de les « réarticuler entre elles », tout en appelant l’État à « renforcer ses propres capacités d’animation des différents organismes de prévention ». Il y aurait ainsi quatre entités au sein du Coct : le « conseil national d’orientation des conditions de travail » qui reprendrait peu ou prou les attributions de l’actuel comité permanent, la commission générale à vocation consultative, l’ensemble des commissions spécialisées dont le nombre et le périmètre pourraient être revisités, et – nouveauté – le « groupe permanent d’orientation ». Ce serait l’instance tripartite. Elle devrait être « force de proposition », effectuer le suivi de la mise en œuvre de la politique de santé au travail et pourrait « procéder à des analyses, diligenter des études et des recherches et formuler des avis sur des questions stratégiques ». « Les quelques très rares organismes de gouvernance paritaires en matière de santé au travail, comme l’INRS, fonctionnent très bien », fait remarquer Pierre-Yves Montéléon, responsable des questions de santé au travail à la CFTC.

« Un sujet trop abandonné aux techniciens »

« Il est important que les conditions de travail et la santé au travail ne soient pas réduites à des questions techniques », pense Christian Lenoir. « Il faut qu’employeurs et salariés partagent le sens des politiques menées. Et pour cela, il faut une stratégie nationale de santé au travail, qui soit débattue entre l’État et les acteurs. Les deux leviers de la prévention que sont classiquement les obligations et les incitations restent nécessaires, mais sont insuffisants aujourd’hui. Or l’essor de prévention est largement fonction de l’implication et de l’adhésion des acteurs concernés. » Hervé Garnier, secrétaire national de la CFDT en charge des questions de santé au travail, se dit « content » d’être parvenu à un texte de compromis. « On partait de très loin sur cette question de la gouvernance, mais nous avons réussi à obtenir l’idée que c’est un sujet que nous avons trop abandonné aux techniciens et qui a besoin d’arbitrages politiques », commente-il.

« L’absence de fil rouge »

Dans une contribution collective, les organisations d’employeurs (Medef, CGPME et UPA), disent « souscrire à certaines orientations proposées en introduction du document » – notamment sur l’idée assez vague de « renouveler l’approche du travail » –, mais elles tiennent aussi à mettre « ces réflexions » en perspective et citent ainsi la mise en place du compte personnel de prévention de la pénibilité : « cette réforme constitue un choc de complexité pour les entreprises et risque de se faire au détriment de la prévention ». Les employeurs estiment aussi que « le prochain plan santé au travail ne pourra pas faire l’économie d’intégrer la fonction publique ». Philippe Blanc, représentant du Medef au CRPRP du Nord-Pas-de-Calais, déplore actuellement « l’absence de fil rouge » dans la gouvernance de la santé au travail : « en tant que collège employeur, cela nous gêne beaucoup ; on est sur des questions de gestion au lieu d’avoir une réelle logique nationale ».

Rendez-vous à la conférence sociale

Le premier ministre Manuel Valls réunit aujourd’hui les organisations syndicales et patronales représentatives pour une « conférence de méthode » qui doit achever de définir le programme de la « grande conférence économique et sociale » des 7 et 8 juillet prochains. Selon les premiers arbitrages esquissés par le gouvernement, une des sept tables rondes devrait concerner la santé et la protection sociale, présidée par Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. La dernière des propositions de la synthèse du groupe de travail du Coct appelle à une « validation politique des conclusions », lors de la prochaine conférence sociale.

Rassembler les données sur la santé au travail
Qui dit pilotage dit indicateurs. Or, « les données existent en matière de santé au travail mais […] elles demeurent dispersées », constate le groupe de travail, soulignant la « nécessité de couvrir statistiquement tout le champ du travail », du travail salarié dans le secteur privé au travail dans les trois versants de la fonction publique, en passant par le travail indépendant. D’un point de vue « stratégique », il s’agirait de « mieux connaître la réalité des risques professionnels, de leur exposition et de leur prévention, plutôt que par le seul prisme de la réparation ». Si la synthèse indique que « le Coct n’a pas vocation à se constituer lui-même en un observatoire technique », elle demande un « plan de travail » pour « obtenir une complète agrégation [des données] dans un délai n’excédant pas la fin du PST (plan santé au travail) 3 », soit d’ici 2019.

(1) Composition du groupe de travail :

  • les 5 confédérations syndicales : CGT, CFE-CGC, CFDT, CFTC, CGT-FO
  • les 5 organisations patronales : Medef, CGPME, UPA, UnaPL, FNSEA
  • les 2 institutions publiques : État via DGT et Sécurité sociale via sa branche AT/MP
 

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