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Indépendants : l'ATI fait flop, les raisons du fiasco

Le député LREM, Dominique Da Silva, a lancé un cycle d’auditions début mars pour comprendre l’échec de l’allocation des travailleurs indépendants (ATI) et jeter les bases d’une refonte plus qu’opportune en cette période de crise.

Indépendants : l'ATI fait flop, les raisons du fiasco
Au-delà des 5 critères cumulatifs jugés trop sévères, de la durée d’indemnisation jugée trop courte pour rebondir, l’insuccès de l’ATI mise en oeuvre par Pôle emploi s’expliquerait par la désaffection des indépendants pour l’assurance chômage. © STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

L’ATI a raté sa cible. Seulement 911 indépendants ont perçu l’allocation à ce jour, après plus d’un an de mise en œuvre. L’étude d’impact de la loi Avenir professionnel tablait sur 29 300 allocataires. Un bilan catastrophique mis en lumière par la crise, dont l’impact sur les indépendants est considérable. Quand l’association GSC (Garantie Sociale des Chefs d’entreprise) pointe le déficit d’information, les experts-comptables et les greffiers rétorquent le désintérêt pur et simple des chefs d’entreprise pour une couverture chômage. Pôle emploi se garde d’un défaut de mise en œuvre, l’Unédic questionne l’ambiguïté du régime. Tous reconnaissent des critères trop sélectifs.

L’ATI, qu’est-ce que c’est ?

L’allocation des travailleurs indépendants (ATI) est l’assurance chômage des indépendants créée par la loi Avenir professionnel de 2018 et disponible depuis novembre 2019. Elle est de 800 € par mois et est attribuée pendant 6 mois. 5 conditions cumulatives doivent être remplies pour l’obtenir :

  • Être en liquidation judiciaire ou en redressement judiciaire ;
  • Justifier d’une activité non salariée pendant 2 ans consécutifs au titre d’une seule et même entreprise ;
  • Justifier de revenus antérieurs – provenant de cette activité non salariée – supérieurs ou égaux à 10 000 € par an ;
  • Être effectivement à la recherche d’un emploi ;
  • Justifier de revenus utilisés pour le calcul de l’impôt sur le revenu (excepté les revenus déclarés au titre de l’activité non salariée) inférieurs au RSA pour un foyer composé d’une personne seule.

« Beaucoup de micro-entrepreneurs passent à la trappe »

« La majorité des 1 285 dossiers traités ont fait l’objet d’un rejet », regrette Misoo Yoon, directrice générale adjointe à Pôle emploi. La faute à la condition de revenu minimal dans 74 % des cas. « 10 000 € de revenu par an ? Beaucoup trop de micro-entrepreneurs passent à la trappe », reconnaît Dominique Da Silva qui rappelle que leur revenu mensuel moyen ne s’élève qu’à 470 € par mois, soit 5 640 € par an. Un seuil d’autant plus inatteignable que le revenu pris en compte n’est pas le chiffres d’affaires (CA) de l’entreprise. « Beaucoup de créateurs d’entreprise vivent sur leurs économies, ils font du CA mais ne peuvent pas se rémunérer », relève le député Da Silva.

Un autre problème majeur mis en avant par les experts-comptables et les greffiers : l’exclusion des dirigeants non-salariés du dispositif. Un comble pour une allocation chômage dédiée aux indépendants. « Le champ de l’ATI est trop restreint. On parle de dirigeants salariés. La plupart des dirigeants que nous accompagnons sont non-salariés, rappelle Lionel Canesi, président du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables. On exclut le gérant majoritaire d’une SARL, l’associé gérant unique d’une EURL, l’associé gérant d’une SNC, etc. N’est pas éligible le cœur du tissu économique ».

« L’ATI ne cible que les entreprises qui sont passées par le tribunal de commerce. Quid des fermetures sous contrainte économique ? »

Un fléchage malheureux expliqué en partie par le financement de l’ATI et le choix politique de ne pas gonfler les charges sociales des TNS. « L’allocation est financée en grande partie par les contributions des salariés (régime de l’assurance chômage classique, ndlr) », rappelle Rémy Mazzocchi, directeur général adjoint de l’Unedic. Quand à la cible des dirigeants salariés, l’ARE est souvent plus avantageuse (38 % des rejets selon Pôle emploi) et la possibilité de récupérer ses droits jusqu’à 3 ans après la cessation de l’entreprise (900 € mensuels sur 10 mois en moyenne, contre 800 € sur 6 mois pour l’ATI) interroge.

Pour le reste, 10 % des rejets sont dus à une cessation d’activité inéligible (il ne s’agit ni d’une liquidation ni d’un redressement) et 9 % concernent des ressources personnelles supérieures au RSA. « L’ATI ne cible que les entreprises qui sont passées par le tribunal de commerce. Quid des fermetures sous contrainte économique ? », s’étonne Anthony Streicher, président de l’Association GSC, quand Misoo Yoon rappelle que « les procédures collectives sont considérées lourdes et chères par les entrepreneurs ». « Les difficultés arrivent de toute façon avant le dépôt de bilan et il est possible de clôturer sans être en cessation de paiement », résume Dominique Da Silva.

Lire aussi Chômage des indépendants : la boucle est bouclée

« Les chefs d’entreprises ne veulent pas d’une couverture chômage »

Au-delà des 5 critères cumulatifs jugés trop sévères, de la durée d’indemnisation jugée trop courte pour rebondir (souhait unanime d’un an minimum au lieu de 6 mois), l’échec de l’ATI s’expliquerait par la désaffection des indépendants pour l’assurance chômage. « Les chefs d’entreprises ne veulent pas d’une couverture chômage, estime Lionel Canesi. Si la volonté existait, ils iraient massivement vers les dispositifs facultatifs existants. » D’autant que ces derniers sont plutôt abordables. « Un entrepreneur individuel qui a un revenu de 20 000 € par an doit payer 50 € par mois environ pour toucher 1 000 € par mois pendant 1 an. La question n’est pas le montant de l’assurance », précise le président de l’Association GSC.

Mais ce peut être une question de timing. « On ne prépare pas un divorce lorsqu’on se marie », image Sophie Jonval, présidente du CNGTC (Conseil national des greffiers des tribunaux du commerce), faisant référence aux créateurs d’entreprise. Et de psychologie. « Quand les entrepreneurs créent un projet, ils ne pensent pas avoir demain une défaillance, sinon ils ne feraient pas de projet », appuie Lionel Canesi. Or, les assurances facultatives sont ouvertes à ceux qui sont en bonne santé, au démarrage. « Quand l’entrepreneur est malade, on ne peut pas le prendre (à la limite du dépôt de bilan, ndlr) », explique Anthony Streicher.

« L’ATI pourrait être un fonds exceptionnel pour permettre le rebond de ceux qui souffrent vraiment de la crise. Le salarié a l’activité partielle, l’entreprise a le fonds de solidarité, mais le chef d’entreprise n’a rien pour vivre ».

Raison de plus pour transformer l’ATI en une aide au rebond, a fortiori en cette période de crise. « L’ATI ne doit pas être et n’a pas vocation à être une assurance chômage pour les chefs d’entreprise », estime le président de l’association GSC. Même son de cloche du côté de Lionel Canesi. « L’ATI pourrait être un fonds exceptionnel pour permettre le rebond de ceux qui souffrent vraiment de la crise. Le salarié a l’activité partielle, l’entreprise a le fonds de solidarité mais le chef d’entreprise n’a rien pour vivre ».

Encore faut-il que l’ATI soit connu des indépendants. « 6 fois sur 10, les chefs d’entreprise qui sortent du tribunal de commerce n’ont jamais été au courant des solutions possibles pour leur défaillance d’entreprise, et 74 % pointent la responsabilité des experts-comptables », chiffre Anthony Streicher. Signe du désarroi des entrepreneurs en faillite pour Lionel Canesi qui assure que les risques et les solutions de prévention sont bien communiqués par ses pairs. Pôle emploi assure détecter et contacter dès l’inscription les chômeurs susceptibles d’être intéressés par l’ATI. Mais le problème plus globale de la méconnaissance des outils à disposition durant la crise reste entier (cf. notre article).

Lire aussi Les travailleurs indépendants sont-ils les grands oubliés de la crise ?

Les pistes d’amélioration évoquées

  • Augmenter le montant de l’allocation (1 000 € au lieu 800 €) ;
  • Doubler la durée d’indemnisation (un an au lieu de 6 mois) ;
  • Abaisser le seuil de 10 000 € de revenu annuel minimal et prendre en compte le CA ;
  • Assumer le glissement vers une aide au rebond des TNS en fonction de leurs particularités (secteurs, fonctions, territoires, etc.) et quitter la logique contributive et assurantielle ;
  • Revoir les motifs de cessations d’activité ;
  • Ouvrir l’ATI aux dirigeants TNS ;
  • Ouvrir l’ATI aux micro-entrepreneurs en permettant par exemple que la déconnexion des plateformes de livraisons soit une possibilité d’accès.

Matthieu Barry

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