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TPE/PME : « Le danger, ce n’est pas le zombie, c’est l’autruche »

Entre le malaise des procédures collectives, l’imbroglio des aides Covid et les milliards incompris du plan de relance, les « petits » patrons en difficulté sont transies par la crise. Les principaux acteurs de l’accompagnement des TPE/PME ont discuté, le 21 janvier devant le Sénat, des moyens de sortir la tête du sable.

TPE/PME : « Le danger, ce n’est pas le zombie, c’est l’autruche »
La politique de l'autruche gagne les rangs des TPE/PME en difficulté qui craignent la fin du « quoi qu'il en coûte » et n'osent pas franchir la porte des tribunaux. © Adobe Stock

À l’approche d’une sévère restriction sanitaire, les invités de la délégation aux entreprises du Sénat tirent la sonnette d’alarme : les défaillances en cascade adviendront d’autant plus que les TPE/PME en difficulté restent dans l’ignorance des outils mis à leur disposition. « Le danger, ce n’est pas le zombie, c’est l’autruche », pointe Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF). La puissance de la réponse publique a beau être saluée, son appréhension par les TPE/PME cibles inquiète. Idem pour les procédures collectives dont le recours est marginal. Et le ressac du « quoiqu’il en coûte » angoisse.

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« Le seul dispositif qui protège : c’est le dispositif judiciaire »

 « Le seul dispositif qui protège : c’est le dispositif judiciaire. Devant les tribunaux, tous les acteurs qui ont accès aux procédures de prévention sont accompagnés ! », s’époumone Georges Richelme, président de la Conférence Générale des tribunaux de commerce, qui s’inquiète du calme avant la tempête. « C’est dans cette période qu’on devrait avoir une hausse des procédures de prévention, si elle était entrée dans les mœurs, s’agace-t-il. C’est maintenant que les acteurs économiques devraient venir au tribunal, accompagnés par un mandataire ad hoc ou un conciliateur, pour bâtir un plan et restructurer leur sujet alors qu’ils ne sont pas encore dans une situation catastrophique. »

« La problématique des petites structures (TPE, artisans), c’est qu’elles ont plutôt tendance à se refermer sur elles-mêmes, ne pas communiquer sur leurs difficultés. »

« Les TPE/PME ne sont pas assez informées de cette boîte à outils des procédures collectives », constate ainsi Christophe Basse, président du Conseil National des Administrateurs Judiciaires et Mandataires Judiciaires (CNAMJ). Problème auquel s’attaquent pourtant les chambres consulaires. « Nous essayons d’inciter les chefs d’entreprise en difficulté à se dévoiler très rapidement, rappelle Joël Fourny, président de CMA France. La problématique des petites structures (TPE, artisans), c’est qu’elles ont plutôt tendance à se refermer sur elles-mêmes, ne pas communiquer sur leurs difficultés. Or, quand les procédures arrivent rapidement avec des sollicitations de remboursement immédiate, il n’y a plus de possibilité pour redresser la barre », souligne-t-il.

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« L’entrepreneur a la crainte des tribunaux, des procédures. On accuse un manque de culture financière dans les TPE, beaucoup n’ont même pas de tableaux de bord », embraye Stéphanie Pauzat, vice-présidente déléguée de la CPME. « Ce n’est pas l’outil qui est en cause mais la population qui relève des tribunaux, appuie Georges Richelme. Plus l’entreprise est petite, plus l’entrepreneur est isolé, moins la culture économique est présente. Il faut l’admettre. On ne peut pas avoir une bienveillance sans prendre en compte la réalité ».

La boite à outils des procédures judiciaires

Plusieurs procédures judiciaires existent en France pour s’en sortir en cas de difficulté (cf. infographie utile du CNAJMJ) :

  • la conciliation et le mandat ad hoc sont des procédures de prévention confidentielles permettant de négocier à l’abri avec les créanciers pour les TPE/PME qui ne sont pas en cessation de paiement. La conciliation est vivement conseillée car boostée pour la crise : la durée de la procédure a été doublée (10 mois au lieu de 5), un délai de 2 ans peut être accordé par le juge pour régler ses dettes et les poursuites par les créanciers sont suspendues ;
  • la sauvegarde est une procédure collective peu utilisée car non confidentielle. Elle concerne aussi les TPE/PME qui ne sont pas en cessation de paiement. Elle permet un gel des dettes antérieures, la suspension des poursuites et prépare un plan de redressement ;
  • le redressement est une procédure collective non confidentielle qui concerne les TPE/PME en cessation de paiements (<45 jours). Elle permet de trouver des solutions avec un gel des dettes antérieures et la prise en charge des salaires pour un plan de continuation, de redressement ou de cession ;
  • la liquidation intervient si aucune des procédures précédentes sont possibles, lorsque la situation est trop critique. Elle permet de sécuriser la fin de vie de l’entreprise (reprise des contentieux, traitement social, etc.).

« Le vrai sujet est de dédramatiser le redressement judiciaire, ce n’est pas forcément une catastrophe, sauf si l’entreprise est déjà au bord du gouffre. Plus d’1/3 des TPE ont des fonds propres nuls ou négatifs. Le moindre accident entraine la procédure de liquidation. 70 % des ouvertures de procédures collectives sont des liquidations judiciaires directes », prévient Georges Richelme.

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Vers la fin du « quoi qu’il en coûte » ?

Un autre problème pour l’année qui vient : celui de l’économie à deux vitesses. D’un côté, « 90 % de l’économie aujourd’hui est revenu à la normale en terme quantitatif », selon Maya Atig et « bon nombre des secteurs d’activité ont rejoint voire dépasser leur niveau d’activité 2019 », estime Patrick Martin, président délégué du Medef. De l’autre, « la survie de centaines de milliers d’entreprise de proximité est en jeu », d’après Laurent Munerot, vice-président de l’U2P. Et 63 % des PME sondés par la CPME sont inquiètes pour la pérennité de leurs entreprises (contre 47 % en septembre), la moitié ne pensent pas pouvoir rembourser leur PGE.

« Nous n’avons pas d’infos sur le niveau de détérioration que certaines entreprises continuent à subir. »

Alors l’idée maintenant assumée par le gouvernement de réduire le « quoi qu’il en coûte » en 2021 pour « déshiberner » l’économie en coupant le cathéter des entreprises zombies interroge. Comment cibler les TPE/PME en « difficulté saine » ? Que valent les indicateurs ? « Les signaux faibles ? Ils ne fonctionnent pas en ce moment. Plus d’assignements de l’Urssaf, plus d’assignements des organismes sociaux. Aucun de ces signaux sont allumés aujourd’hui. Nous n’avons pas d’infos sur le niveau de détérioration que certaines entreprises continuent à subir », alerte Pierre Goguet, président des Chambres de commerce et d’industrie (CCI France).

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Quand Stéphanie Pauzat de la CPME se méfie de la hausse – comme si de rien était – du nombre de créations d’entreprise en 2020. « Il faut regarder si ce sont de vrais projets ou si certains ne révèlent pas la situation de salariés en difficulté qui s’inscrivent pour avoir une activité annexe… » Les affres du ciblage des aides l’année dernière posent aussi la question des justes contours du futur « quoi qu’il en coûte ». « La nomenclature des aides doit encore être améliorée. Les cordonniers ont par exemple été rajoutés sur le tard dans la catégorie Réparation d’ordinateurs et de biens domestiques », rit jaune Laurent Munerot de l’U2P.

« 270 000 salariés risquent de perdre leurs emplois. »

Dans son enquête sur 2020, l’U2P indique qu’un quart des commerces de proximité comptent sur les dispositifs de soutien pour repartir en 2021. 71 % des artisans et commerçants de proximité et professions libérales, ont connu une baisse d’activité en 2020, dont 13 % qui font état d’une chute supérieure à 50 %. Seulement 3 % anticipent une fermeture au cours des prochains mois. « Un pourcentage faible pour un nombre conséquent d’entreprises. 270 000 salariés risquent de perdre leurs emplois », déchiffre Laurent Munerot.

Les pistes évoquées pour 2021

Les intervenants ont lancé des pistes d’amélioration des mesures de soutien pour permettre aux TPE/PME de franchir le cap 2021 même en plein brouillard. « Je comprends que beaucoup de chefs d’entreprise ne veulent pas s’engager sur un avenir qu’ils ne maîtrisent pas », rappelle à cet égard Pierre Goguet de CCI France.

  • pérenniser certaines mesures de simplification du droit des entreprises en difficulté  (visioaudiences, conciliation boostée, repenser la sauvegarde en faveur des débiteurs) ;
  • envisager un amortissement fiscal pour l’investissement des PME ;
  • transformer les créances fiscales et sociales en obligations remboursables afin de conforter le bilan des entreprises ;
  • instaurer un prêt de consolidation (comme le prêt de restructuration pour les particuliers) pour étaler l’ensemble des dettes sur une durée de 10 ans et diminuer les charges (CPME) ;
  • revoir les modalités des prêts participatifs pour ne pas être disqualifiés par les PGE (Medef) ;
  • pour les indépendants, permettre l’intégration des dettes personnelles auprès du CPSTI dans la liquidation judiciaire de l’entité ;
  • prolonger le crédit « CAP Relais » d’assurance du crédit interentreprises pour éviter le pire en ce domaine ;
  • supprimer les effets de seuil du fonds de solidarité et prendre en compte les établissements d’une société pour l’éligibilité à ce fonds ;
  • prévoir des avantages fiscaux pour orienter l’épargne des Français vers les entreprises (par exemple en relevant le plafond des PEA/PME).

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Matthieu Barry

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