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Les femmes deux fois plus impactées par la souffrance psychique en lien avec le travail

La prévalence de la souffrance psychique en lien avec le travail a été chaque année deux fois plus élevée chez les femmes sur la période 2013-2019, relève Santé publique France dans une étude. Elle double sur la période 2007-2019 chez les deux sexes.

Les femmes deux fois plus impactées par la souffrance psychique en lien avec le travail
Le programme MCP fournit des données inédites pour documenter la SPLT, observée pour près de 6 % des femmes et 2 % des hommes. © Getty Images

En s’appuyant sur les données issues du Programme de surveillance des maladies à caractère professionnel (MCP)*, Santé publique France révèle dans une étude publiée le 5 mars que la prévalence de la souffrance psychique en lien avec le travail (SPLT) était deux fois plus élevée chez les femmes sur la période 2013-2019 (4,6 % contre 2,1 % pour les hommes), quelle que soit l’année (5,9 % contre 2,7 % chez les hommes en 2019).

Premier groupe de MCP signalées chez les femmes depuis 2013 (second chez les hommes après les TMS), la SPLT comprend tous les troubles relevant de la sphère mentale causés ou aggravés par le travail et les conditions de son exécution selon l’expertise clinique du médecin du travail, que ces troubles soient inscrits ou non dans les nosographies médicales (description et classification méthodique des maladies). La plupart d’entre eux proviennent de problématiques managériales et relationnelles, comme « les surcharges ou sous-charges de travail ressenties » ou des « relations au travail et violence ».

Les « relations au travail et violence », dont les « qualités des relations (collègues et hiérarchie) » joue un rôle deux fois plus important dans les troubles du sommeil des femmes (chez les hommes, les « exigences inhérentes de l’activité » dont les horaires de travail pèsent davantage).

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« Fort gradient social inversé »

Toutes choses égales par ailleurs, le risque de signalement d’une SPLT était plus élevé chez les femmes de plus de 35 ans par rapport à celles de moins de 25 ans. Il augmente avec la catégorie socioprofessionnelle et atteint un maximum chez les femmes cadres. Il s’avère également plus élevé chez les femmes travaillant dans les secteurs du transport et de l’entreposage, de la construction et de l’industrie (l’agriculture est en tête pour les hommes, cf. encadré).

« Les troubles psychiques pourraient être masqués par des pathologies somatiques chez les salariés exerçant des tâches physiques comme les ouvriers »

Des secteurs « souvent caractérisés par une division sexuelle du travail avec une prédominance d’hommes dans les emplois techniques, manuels ou d’encadrement, tandis que les femmes exercent plutôt des emplois dits tertiaires, avec des tâches administratives comme le service à la clientèle ou encore la gestion des ressources humaines, ces professions étant connues comme plus fréquemment associées à la SPLT », précise Santé publique France.

Par ailleurs, si un « fort gradient social inversé » est observé, l’agence nationale pointe une probable sous-déclaration de la SPLT chez les catégories socioprofessionnelles les moins élevées. « Les troubles psychiques pourraient être masqués par des pathologies somatiques chez les salariés exerçant des tâches physiques comme les ouvriers [et] la verbalisation des ouvriers sur d’éventuels problèmes psychiques pourrait également être moins importante que dans les autres catégories socioprofessionnelles », indique-t-elle.

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Des prévalences doublées entre 2007 et 2019

En 2019, la prévalence de la SPLT était plus de deux fois supérieure à celle de 2007, avec une augmentation notable à partir de 2016, quel que soit le sexe. Une hausse principalement due à une augmentation des troubles anxieux et dépressifs mixtes, des troubles anxieux et des burn-out diagnostiqués par les médecins volontaires du programme MCP.

« Cette augmentation concorde avec les données des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) pour lesquelles une cinquantaine d’affections psychiques étaient reconnues comme maladies professionnelles en 2007, contre plus de 1 000 en 2019, ainsi qu’avec la forte croissance des affections psychiques prises en charge en accident du travail (12 000 cas en 2019 contre 10 000 en 2017) », note Santé publique France qui émet plusieurs hypothèses.

« Ces augmentations peuvent être dues à de multiples détériorations des conditions de travail, suppute-t-elle. Mais elles pourraient également être en partie expliquées par une meilleure information des problèmes de santé mentale provoquant donc une meilleure sensibilisation des médecins au diagnostic et une plus ample verbalisation des salariés. »

L’agence nationale de la santé évoque également un « renforcement de la pluridisciplinarité, qui a contribué à concentrer les examens avec des motifs et enjeux médicaux significatifs (examens à la demande des salariés, examens de reprise…) vers les médecins du travail modifiant donc la population de salariés vus par les médecins pendant les Quinzaines MCP » et une « part croissante des visites à la demande et de reprise et pré-reprise » depuis 2007 (de 6 % en 2007 à 15 % en 2019 pour les premières, de 9 % à 20 % pour les secondes).

Pas de quoi toutefois remettre en doute une « réelle augmentation de la SPLT », compte tenu de « l’augmentation des prévalences observées au sein de ces deux types de visite », appuie Santé publique France (de 8 % en 2007 à 12 % à 2019 pour les visites à la demande, 5 % en 2007 et 8 % en 2019 pour les visites de reprises et pré-reprises). Par ailleurs, les prévalences de SPLT observées par type de visites apparaissent stables pour les visites d’embauche (< 0,5 %) et pour les visites périodiques (1,5 %).

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Reconnaissance faible en l’absence de tableau dédié

« Bien que le nombre de reconnaissances en maladie professionnelle de troubles psychiques augmente régulièrement, il reste faible en l’absence de tableau de maladie professionnelle dédié », concluent les auteurs de l’étude. De quoi « confirmer l’importance de caractériser la SPLT ».

« À ce jour, en France, aucun trouble psychique imputable au travail ne fait partie des tableaux de maladies professionnelles, rappelle l’agence. Leur reconnaissance relève des CRRMP qui se prononcent au cas par cas, après évaluation médicale approfondie et collégiale, sur l’existence d’un lien « direct et essentiel » entre le trouble et l’activité professionnelle. »

S’alignant sur les recommandations de l’Assurance maladie en la matière, Santé publique France appelle à faire des secteurs d’activité à haut risque la cible prioritaire des actions de prévention (dont celui de la santé humaine et de l’action sociale**) et à réduire les inégalités entre les sexes pour une « répartition plus équitable des expositions professionnelles ». « En favorisant des environnements plus égalitaires, le milieu du travail est un cadre d’intervention privilégié afin d’améliorer et promouvoir la santé mentale de toutes et tous ».

 

*Le programme MCP recueille des données pour l’ensemble des salariés vus en visite médicale pendant des périodes de deux semaines consécutives deux fois par an appelées « Quinzaines MCP ». Entre 2013 et 2019, 281 379 salariés ont été vus en visite.

**Dans cette étude, le secteur de la santé humaine et de l’action sociale n’est pas ressorti comme étant plus à risque chez les femmes. Santé publique France évoque une probable « sous-estimation du secteur hospitalier chez les salariés vus en visite, les médecins de ce secteur étant moins facilement sollicités pour participer au programme MCP ».

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Matthieu Barry

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