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Le seuil de 50 salariés : un problème de taille pour les petites entreprises

C'est à partir du seuil de 50 salariés, qu'une majeure partie des obligations en termes de dialogue social, de partage des profits ou encore de comptabilité s'imposent aux entreprises. Ce faisant, de nombreuses entreprises auraient tendance à minorer leur effectif afin d’éviter ces obligations légales. Pour quel motif ? contourner une réglementation complexe, éviter les coûts du franchissement de seuil, s'affranchir des contraintes pesant sur la gestion de l'entreprise....

Le seuil de 50 salariés : un problème de taille pour les petites entreprises
Plus de 80 % entreprises examinées par l'IPP dans cette étude déclareraient un effectif inférieur à 50 salariés afin de se soustraire à certaines obligations. © Getty Images

Selon une note de l’Institut des politiques publiques parue en mars 2022, les entreprises sous-déclareraient volontairement leur effectif afin de rester en dessous du seuil de 50 salariés à partir duquel de nouvelles obligations s’imposent à elles. Ce comportement serait facilité par l’insuffisance des contrôles.

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L’effectif salarié massivement sous-déclaré ?

D’après l’analyse de l’IPP, seules 10 à 20 % des entreprises françaises – toutes tailles confondues – déclareraient correctement leurs effectifs à l’administration. Et parmi les entreprises « défaillantes », elles seraient bien plus nombreuses à sous-déclarer qu’à sur-déclarer leurs salariés. Dans le détail, la proportion d’entreprises sous-déclarantes augmenterait très fortement au voisinage du seuil de 50 salariés (de l’ordre de 70 %).

Attention ! L’étude porte sur les entreprises comportant entre 30 et 70 salariés sur des périodes allant de 2000 à 2016.

Pour apprécier la part d’entreprises qui font des déclarations erronées, l’Institut des politiques publiques (IPP) a comparé :

  • l’effectif déclaré par l’employeur dans les données fiscales (sur la base des liasses fiscales des entreprises) ;
  • à un effectif « reconstruit » à partir des DADS (déclarations annuelles de données sociales) et « non manipulable » (les employeurs fournissent annuellement pour chaque salarié, les dates de début et de fin de période de paie, ainsi que le nombre d’heures salariées).

Pour rappel, depuis 2017, la DSN (déclaration sociale nominative) a remplacé la DADS (sauf pour certains employeurs).

Résultat : lorsque l’IPP recalcule directement l’effectif des entreprises à partir des données sociales (DADS), il n’y a plus aucun pic à 49 salariés. « C’est donc l’effectif déclaré par l’employeur et non l’effectif réel qui plafonne à 49 salariés ». Ce constat édifiant, dressé par l’IPP, porte sur des données relativement anciennes (de 2006 à 2016) ; la situation est-elle la même aujourd’hui ?

Comment se calcule l’effectif d’une entreprise ?

La loi Pacte du 22 mai 2019 a eu pour objectif de réduire la multiplicité des seuils d’effectif en deçà de 250 salariés en privilégiant les seuils de 11, 50 et 250 salariés et en supprimant les seuils intermédiaires de 10, 20 et 25 salariés. Par ailleurs, elle fixe comme mode de décompte de référence celui prévu par le code de la sécurité sociale.

Ainsi, depuis le 1er janvier 2020, l’effectif salarié annuel de l’employeur correspond à la moyenne du nombre de personnes employées au cours de chaque mois de l’année civile précédente. L’employeur doit donc utiliser la moyenne des effectifs de la dernière année. Ces modalités de calcul s’appliquent également aux entreprises qui comportent plusieurs établissements.

Pour la détermination de l’effectif salarié annuel de l’employeur, sont uniquement prises en compte les personnes titulaires d’un contrat de travail. En revanche, ne sont plus pris en compte dans l’effectif salarié les mandataires sociaux affiliés au régime général (gérants majoritaires de SARL par exemple), sauf s’ils sont titulaires d’un contrat de travail.

Les salariés mis à disposition, y compris les intérimaires, les CDD de remplacement, les contrats d’apprentissage et professionnels restent exclus de l’effectif. Ces modalités ne s’appliquent pas aux seuils d’effectifs des instances de représentation du personnel, à l’obligation de disposer d’un local syndical et de rédiger un règlement intérieur.

Enfin, par dérogation, pour la tarification des accidents du travail, l’effectif pris en compte est celui de la dernière année connue.

Lire aussi : Prolongation de l’APLD : les entreprises déjà engagées doivent conclure des avenants

Le seuil redouté de 50 salariés

Pour quelles raisons des entreprises refusent-elles de franchir ce seuil ? Pour éviter les nombreuses obligations légales qui leur incombent, relève l’IPP.

Droit du travail

En matière sociale, les obligations légales suivantes se déclenchent à partir du seuil de 50 salariés :

  • souscrire la déclaration mensuelle des mouvements de main-d’œuvre (DMMO) par le biais de la DSN ;
  • établir un règlement intérieur lorsque l’effectif de 50 salariés est atteint ou dépassé pendant un an ;
  • aménager un local de restauration : obligation de mise à disposition aux salariés souhaitant prendre leur repas sur place ;
  • désigner un représentant de section syndicale ;
  • égalité hommes/femmes :
    • obligation de négocier un accord ou d’établir un plan d’action sous peine de sanction financière,
    • obligation annuelle de calculer un index de l’égalité comportant 4 ou 5 indicateurs et de le publier sur le site internet avant le 1er mars ;
  • obligation de négocier un accord de prévention des risques professionnels ou d’établir un plan d’action si au moins 25 % des salariés exposés aux 6 facteurs de pénibilité au-delà des seuils, ou si le taux de sinistralité excède 0,25 ;
  • abonder le CPF de 3 000 € pour le salarié qui n’a pas bénéficié des entretiens périodiques requis et d’une formation non obligatoire au cours des 6 dernières années ;
  • en cas de projet de licenciement économique collectif :
    •  obligation de convoquer le CSE,
    • établissement d’un plan de sauvegarde de l’emploi comportant obligatoirement des mesures de reclassement,
    • contribution à la revitalisation du bassin d’emploi lorsque le licenciement affecte le bassin d’emploi.

Depuis 2018, les entreprises d’au moins 11 salariés doivent mettre en place un CSE contre 50 salariés auparavant.

Contributions et cotisations sociales

En cas de dépassement du seuil d’effectif de 50 salariés, les obligations sont les suivantes :

  • assujettissement à la contribution du Fonds national de l’aide au logement (FNAL) au taux plein de 0,50 % de la masse salariale ;
  • payer la participation à l’effort de construction au taux de 0,45 % du montant des rémunérations versées au cours de l’exercice écoulé, appelée « 1 % logement » ;
  • chèques-vacances : exonération de cotisation et exclusion du chef d’entreprise.

Partage des profits

L’entreprise doit conclure un accord de participation aux résultats de l’entreprise dans le délai de 1 an à partir de la clôture de l’exercice au cours duquel l’effectif de l’entreprise a atteint 50 salariés.

Présentation des comptes et audit

Pour les petites entreprises, la présentation des comptes doit être plus détaillée (obligation d’établir une annexe et d’un rapport de gestion)
au-delà de 50 salariés, et lorsque l’entreprise ne dépasse pas les plafonds suivants :

  • 12 M€ de chiffre d’affaires hors taxes ;
  • 6 M€ de total bilan.

Par ailleurs, le recours à un commissaire aux comptes pour réaliser un audit légal devient obligatoire à partir de 50 salariés, lorsque l’entreprise dépasse l’un des plafonds suivants :

  • 8 M€ de chiffre d’affaires hors taxes ;
  • 4 M€ de total bilan.

Quand le dépassement d’un seuil d’effectif déclenche-t-il l’obligation ?

Depuis le 1er janvier 2020, la loi Pacte a instauré un dispositif pérenne et généralisé d’atténuation des effets du franchissement des seuils en reportant leurs effets contraignants à l’année N + 5. Les anciens dispositifs d’atténuation des effets de seuils, hormis pour la représentation du
personnel (pour la création d’un CSE à partir de 50 salariés, par exemple, la durée de franchissement exigée reste d’un an), sont supprimés avec des mesures transitoires pour les entreprises qui en bénéficiaient au 31 décembre 2019.

Désormais, le franchissement à la hausse d’un seuil d’effectif salarié est pris en compte lorsque ce seuil a été atteint ou dépassé pendant cinq années civiles consécutives. Le franchissement à la baisse d’un seuil d’effectif sur une année civile a pour effet de faire à nouveau courir la règle énoncée.

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Causes et risques des pratiques de contournement

Une réglementation complexe

Ces pratiques d’entreprises s’expliquent notamment par « la mise en place de réglementations complexes, reposant sur des concepts d’effectifs difficiles à mesurer, combinée à l’absence de modalités de contrôle suffisamment réfléchies », selon l’IPP. Qui incite donc les pouvoirs publics à « mobiliser systématiquement des sources de données fiables pour contrôler la taille des entreprises et faire respecter le droit du travail ».

La rationalisation par la loi Pacte des seuils d’effectif par la réduction du nombre des seuils en deçà de 250 salariés et leur recentrage sur 3 niveaux : 11, 50 et 250 salariés contribue désormais à simplifier les règles applicables.

Un coût élevé pour les entreprises

La mise en œuvre de telles obligations représente un « coût administratif immédiat » pour le chef d’entreprise, souligne la note. « Un dirigeant peut notamment souhaiter ne pas payer ces coûts si l’effectif dépasse le seuil seulement pour faire face à une hausse ponctuelle de l’activité ».

La sous-déclaration permet alors de retarder de quelques années le moment d’appliquer les règles en vigueur au-delà du seuil. Des raisons plus personnelles peuvent également pousser les chefs d’entreprise à sous-déclarer, par exemple la crainte de perdre leur pouvoir décisionnel.

Quels risques pour les entreprises contrôlées ?

Ces comportements de sous-déclaration seraient d’autant plus courants qu’ils sont peu risqués. « Les entreprises peuvent sans crainte de sanctions et sans nécessairement se faire contrôler sous-déclarer leur effectif fiscal », indique l’IPP. « L’effectif mentionné dans les déclarations fiscales n’a pas d’incidence directe sur l’imposition des sociétés » (NDLR : avant la loi Pacte).

Car « contrairement aux DADS, une déclaration erronée ne peut générer une sanction fiscale et ne constitue donc pas une information sur laquelle les contrôleurs fiscaux focalisent leur attention », est-il expliqué. De même, cela « n’intéresse pas non plus l’inspection du travail ni les agents des Urssaf car justement l’ensemble des dispositifs des codes du travail ou de la sécurité sociale sont basés sur d’autres concepts de taille d’entreprise ».

L’IPP souligne dans sa note, sur la période analysée, que l’effectif déclaré dans les liasses fiscales ne correspondait pas au concept d’effectif retenu par la loi pour les obligations sociales.

Ce n’est plus le cas avec la loi Pacte qui harmonise les différents modes de calcul des effectifs applicables dans différentes législations, notamment sociales et fiscales, avec celui prévu par le code de la sécurité sociale (CSS, art. L. 130-1) mis en œuvre dans le cadre de la DSN, laquelle permet désormais un décompte automatique des effectifs.

Un nouveau facteur de risque, le mécanisme d’atténuation des effets de seuils

Le contournement des seuils d’effectif a pu être davantage facilité ces dernières années avec la nouvelle règle générale d’atténuation des effets de seuil (voir encadré ci-dessus).

Vivement critiquée, elle permet de priver d’effet le dépassement du seuil pendant plusieurs années, en l’interrompant par une année de baisse de l’effectif en deçà du seuil requis, afin que ce dépassement ne puisse être pris en compte. Pour le Conseil constitutionnel, « l’éventualité d’un détournement de la loi ou d’un abus lors de son application, pour regrettables qu’ils soient, n’entache pas celle-ci d’inconstitutionnalité » (Cons. const., déc., 16 mai 2019, n° 2019-781 DC). Le Conseil d’État avait toutefois, dans son avis sur le projet de loi, alerté sur le caractère contestable de ce dispositif (CE, avis, 14 juin 2018, n° 394599).

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L’équipe NetPME

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