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Fin de carrière : près de 30 % des seniors ni en emploi, ni en retraite
Entre 2003 et 2018, 171 000 seniors ont quitté leur emploi prématurément pour des raisons de santé, de chômage ou d’autres formes d’inactivité, selon une note de France Stratégie. Parmi les métiers à risque, les ouvriers peu qualifiés du bâtiment et de la manutention. Une situation qui risque de s’aggraver avec le report de l’âge légal de départ à la retraite.
Voilà une étude qui ne laissera pas indifférent les partisans ou les opposants à la réforme des retraites. Car si la loi du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 a été publiée au Journal officiel, elle fait l’impasse sur un enjeu clef : l’emploi des seniors. Le Conseil constitutionnel a, en effet, retoqué plusieurs cavaliers sociaux dont l’Index et le CDI seniors, deux mesures censées améliorer le taux d’emploi de cette classe d’âge.
Le report de deux ans de l’âge légal de départ sera donc un nouveau coup dur. D’autant que de nombreuses personnes ne passent pas directement de l’emploi à la retraite. France Stratégie, une institution rattachée au Premier ministre, évalue ces départs précoces à 29 %. Ils concernent, chaque année, 171 000 personnes, entre la période 2003-2018. Une note, diffusée le 19 avril, et intitulée « Fin de carrières des seniors : quelles spécificités selon les métiers ? » détaille les profils de ces personnes « ni en emploi, ni en retraite ».
Trois motifs de départ
Selon son auteur, Jean Flamand, chef de projet au sein du département travail, emploi, compétences de France Stratégie, trois raisons principales motivent ces départs : les raisons de santé (longue maladie ou invalidité dès 51 ans et congé de longue maladie dès 56 ans), le chômage (pour les personnes âgées de 59 ans ou plus) et les autres formes d’inactivité (dès 56 ans, ceux ayant par exemple renoncé à la recherche d’un emploi pour s’occuper d’un proche en situation de dépendance). Ce terme englobant les seniors inactifs de plus de 55 ans n’étant ni en retraite ou en pré-retraite, ni au chômage, ni en longue maladie ou invalidité.
Certes toutes ces sorties ne sont pas définitives. Il n’empêche : passé le seuil d’un certain âge, le retour à l’emploi relève d’une véritable gageure : les sorties vers le chômage à partir de 59 ans s’accompagnent d’un retour à l’emploi dans moins de 15 % des cas et les départs pour d’autres motifs que le chômage sont définitifs dans plus de neuf cas sur dix.
Dans le détail, entre 2004 et 2009, les départs à la retraite et le recours aux dispositifs de préretraites ont représenté 71 % des fins de carrière seniors. Les raisons de santé expliquent 10 % de ces départs, le chômage 4 % et les autres types d’inactivité 15 %.
Des sorties précoces plus nombreuses chez employés et les ouvriers
Si l’ampleur des sorties précoces de l’emploi apparait « très hétérogène », France Stratégie observe que « la proportion de sorties précoces est d’autant plus importante que l’on descend l’échelle des qualifications ». Sur la période 2004-2019, elle oscille entre 21 % chez les cadres et 46 % chez les ouvriers peu qualifiés.
Entre ces deux statuts, les sorties prématurées représentent au moins 39 % des départs en fin de carrière chez les employés peu qualifiés et les ouvriers qualifiés, contre seulement 29 % pour l’ensemble des seniors qui partent en fin de carrière.
« Cette surreprésentation en particulier pour raison de santé et vers le chômage peut être analysée en lien avec les conditions de travail et les modes de gestion de la main-d’œuvre des métiers exercés », relève France Stratégie.
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Des âges différents selon les métiers
Par ailleurs, ces départs précoces de l’emploi interviennent à des âges différents selon les métiers : c’est 57 ans en moyenne pour les ouvriers peu qualifiés des industries de process et pour les caissiers et employés de libre-service, et près de 60 ans pour les assistants maternels, les dirigeants et les cadres d’hôtels, cafés et restaurants.
A l’autre extrémité, ce sont les techniciens ou les cadres qui sont davantage représentés : on trouve notamment les médecins, les personnels d’études et de recherche, les ingénieurs et cadres techniques de l’industrie, les cadres de la banque ou encore les enseignants. Dans ces métiers, la proportion de sorties précoces oscille entre 3 % et 25 % des cessations d’activité.
20 métiers à la loupe
France Stratégie a choisi de mettre en avant 20 professions avec la part de sorties précoces la plus élevée. Parmi les métiers figurent notamment les métiers d’ouvriers (manutention, bâtiment, métallurgie, bois, agroalimentaire) et les métiers d’employés de services aux particuliers (aides à domicile, employés de maison) et à la collectivité (agents d’entretien). Si la cause de ces sorties pour raisons de santé peut être extérieure à l’activité professionnelle, « des conditions de travail difficiles sont associées à un risque accru d’accident du travail ».
Au-delà des accidents du travail, « les maladies professionnelles peuvent également jouer un rôle dans le retrait précoce de l’emploi », en premier lieu les troubles musculosquelettiques (TMS). Ces pathologies sont concentrées dans l’industrie de transformation alimentaire, le gros œuvre, les activités d’hypermarché et de supermarché, le secteur de l’aide à domicile et les activités hospitalières.
Caractère « soutenable » du travail ?
Dans ces conditions, l’hypothèse d’un lien entre les départs précoces et le caractère « soutenable » du travail peut-elle être confirmée ? France Stratégie répond ici par l’affirmative. « Une relation existe bel et bien » entre les départs plusieurs années avant l’âge de la retraite et les conditions de travail ressenties.
Onze des métiers qui connaissent un taux élevé de sorties précoces de l’emploi figurent aussi sur la liste des vingt métiers qui récoltent le plus fort taux de réponses négatives à cette question. Les travailleurs de ces métiers mettent davantage en avant des conditions de travail insatisfaisantes ou des problèmes de santé comme facteurs importants de départ à la retraite.
Vers une augmentation des arrêts maladie ?
France Stratégie ne se prononce pas sur les répercussions de la nouvelle réforme, en supposant que « certains travailleurs recourront aux nouveaux dispositifs de prévention de la pénibilité ou adapteront leur comportement à l’évolution de l’âge légal de départ ». L’auteur remarque, toutefois, sur la base de deux études, que la réforme de 2010 avait entraîné « une augmentation de la probabilité d’avoir un arrêt maladie pour les individus proche de l’âge d’ouverture mais pas encore à la retraite au moment de l’entrée en vigueur de la réforme ». Avec à la clef, un impact non négligeable sur la consommation de soins de santé.
Une situation qui risque de se réitérer avec la nouvelle réforme…
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Anne Bariet
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