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Loi immigration : ce qui change pour l'emploi des travailleurs étrangers

La loi « immigration » vient d'être publiée au JO du 27 janvier. Elle comporte plusieurs dispositions concernant l'emploi des travailleurs étrangers telles que la régularisation facilitée dans les métiers en tension, la création d'une amende administrative à la place de la contribution spéciale en cas de travail irrégulier, l'accompagnement à l'apprentissage à la langue française.

Loi immigration : ce qui change pour l'emploi des travailleurs étrangers
Désormais, une carte de séjour temporaire portant la mention « travailleur temporaire » ou « salarié » d’une durée d’un an « peut » être délivrée sous conditions, sans exigence d’un visa de long séjour. © Getty Images

Si près de la moitié des articles du projet de loi immigration a été censurée totalement ou partiellement par le Conseil constitutionnel, les dispositions concernant l’emploi des travailleurs étrangers ont été validées. Nous développons ci-après ces dispositions.

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Obtention plus souple de la carte de séjour temporaire « travailleur temporaire » ou « salarié » (article 27)

L’article 27 de la loi du 27 janvier 2024, en créant un nouvel article L. 435-4 du Ceseda (code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile), met en place, jusqu’au 31 décembre 2026, un nouveau cas d’admission exceptionnelle au séjour à la seule initiative des ressortissants étrangers présents sur le territoire national.

Ainsi, une carte de séjour temporaire portant la mention « travailleur temporaire » ou « salarié » d’une durée d’un an « peut » être délivrée, sans exigence d’un visa de long séjour, à l’étranger qui remplit les conditions suivantes :

  • avoir exercé une activité professionnelle salariée figurant dans la liste des métiers et zones géographiques caractérisés par des difficultés de recrutement durant au moins 12 mois, consécutifs ou non, au cours des 24 derniers mois ;
  • occuper un emploi relevant de ces métiers et zones ;
  • justifier d’une période de résidence ininterrompue d’au moins trois années en France.

En outre, l’étranger ne doit pas avoir fait l’objet d’une condamnation, d’une incapacité ou d’une déchéance mentionnée au bulletin n° 2 du casier judiciaire.

Insistant sur le caractère discrétionnaire du dispositif, la loi du 26 janvier 2024 précise que le titre de séjour est délivré « à titre exceptionnel, et sans que les conditions [requises] ne soient opposables à l’autorité administrative ».

Les périodes de séjour et de travail sous couvert des titres de séjour « saisonnier », « étudiant » et de l’attestation de demande d’asile ne sont pas prises en compte pour obtenir cette carte de séjour temporaire.

L’article L.435-4 du Ceseda précise que pour accorder ou non ce titre de séjour, l’autorité compétente prend en compte, « outre la réalité et la nature des activités professionnelles de l’étranger, son insertion sociale et familiale, son respect de l’ordre public, son intégration à la société française et son adhésion aux modes de vie et aux valeurs de celle-ci ainsi qu’aux principes de la République ».

Le titre de séjour délivré ne vaut pas automatiquement autorisation de travail. La loi prévoit en effet que l’autorité administrative vérifie « par tout moyen la réalité de l’activité alléguée » (article L.5221-5 du code du travail). Ce n’est qu’après cette vérification que l’autorisation de travail, matérialisée par un document sécurisé, est délivrée.

Ce nouveau dispositif s’ajoute aux autres cas d’admission exceptionnelle au séjour déjà prévus par le Ceseda, dont celui de l’article L.435-1 qui permet la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « travailleur temporaire » ou « salarié », mais avec la nécessité de présenter un formulaire Cerfa rempli par l’employeur.

Pour rappel, le projet de loi initial prévoyait, non pas un dispositif de régularisation discrétionnaire, mais une attribution de plein droit d’une carte de séjour temporaire mention « travail dans des métiers en tension » aux étrangers remplissant certaines conditions.

L’étude d’impact du projet de loi soulignait qu’à l’occasion de l’instruction de la demande de titre, la situation de l’employeur fera l’objet des contrôles et vérifications prévues à l’article R.5221-20 du code du travail (respect des obligations déclaratives sociales, vérification que l’employeur n’a pas fait l’objet de sanctions et que le salaire est conforme aux minima légaux et conventionnels) « au terme desquels un signalement pourra être transmis aux administrations compétentes en matière d’atteintes à l’ordre public social, de contrôle et d’engagement de procédures de sanctions ».

Certains employeurs pourraient donc être sanctionnés pour travail illégal à l’issue de cette procédure de régularisation.

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Un mécanisme de régularisation qui laisse des questions en suspens

Ce nouveau mécanisme de régularisation suscite des interrogations quant à son utilité et sa mise en œuvre.

Le texte ne précise pas les modalités de contrôle « par tout moyen » de la « réalité de l’activité alléguée » par l’étranger.

Il ne mentionne pas non plus les contrôles dont pourrait faire l’objet l’employeur. Pourtant ceux-ci semblent prévus dans la mesure où l’étude d’impact et les rapports parlementaires les mentionnent sans équivoque.

La loi du 26 janvier prétend mettre en place un dispositif de régularisation sans intervention de l’employeur mais on voit mal comment ces contrôles pourraient être effectués en dehors de son intervention, en particulier si le salarié en situation irrégulière n’a pas de fiches de paie.

Ajoutons que les critères de régularisation fixés par la loi sont plus stricts que ceux contenus dans la circulaire du 28 novembre 2012 qui précise les conditions d’examen des demandes d’admission exceptionnelle au séjour en application de l’article L.435-1 ; ce texte n’exige que 8 mois d’ancienneté de travail, consécutifs ou non, sur les 24 derniers mois et une ancienneté de séjour d’au moins 5 ans sauf exception (3 ans si l’étranger a travaillé 24 mois dont 8, consécutifs ou non, dans les 12 derniers mois).

Actualisation annuelle de la liste des métiers en tension (article 28)

La liste des métiers et zones géographiques caractérisés par des difficultés de recrutement, dans lesquels la situation du marché de l’emploi n’est pas opposable pour la délivrance des autorisations de travail, sera actualisée au moins une fois par an (article L.414-13 du code des étrangers).

Cette liste est établie par l’autorité administrative après consultation des organisations syndicales représentatives d’employeurs et de salariés. Sa dernière actualisation date d’avril 2021 (arrêté du 1er avril 2021). L’objectif d’une actualisation annuelle est que la liste soit représentative des tensions actuellement constatées sur le marché du travail.

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Modifications portant sur le « passeport talent » (articles 30 et 31)

La carte de séjour pluriannuelle mention « passeport talent » est renommée « talent ».

Trois catégories de carte délivrées à des salariés qualifiés (diplômés master, jeune entreprise innovante, « salarié en mission » mobilité intragroupe) sont fusionnées en une seule dénommée « talent-salarié qualifié », partant du constat que la durée maximale de validité de ces titres et les droits qui y sont associés sont identiques (article L.421-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).

Les membres de la famille accéderont à la carte « talent famille ».

Sanctions de l’emploi d’un étranger sans titre (article 34)

L’employeur d’un étranger sans titre l’autorisant à travailler en France encourt des sanctions pénales (articles L.8256-1 et s. du code du travail) et des sanctions administratives. Il s’agit de la contribution spéciale dont le montant est fixé par l’Office français de l’immigration et de l’intégration pour le compte de l’Etat et qui est liquidé par le ministre chargé de l’immigration (article L.8253-1 et s. du code du travail) et de la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l’étranger prévue par le Ceseda (articles L.822-2 et s. du Ceseda).

L’article 34 de la loi remplace la contribution spéciale par une amende administrative et supprime la contribution forfaitaire représentative des frais de réacheminement de l’étranger dans son pays d’origine.

La nouvelle amende administrative est prononcée par le ministre chargé de l’immigration, au vu des procès-verbaux et des rapports transmis par les autorités compétentes pour constater les infractions, et sans préjudice des poursuites judiciaires pouvant être intentées à l’encontre de l’employeur (article L.8253-1 du code du travail).

Pour en déterminer le montant, le ministre prend en compte les capacités financières de l’auteur d’un manquement, le degré d’intentionnalité, le degré de gravité de la négligence commise et les frais d’éloignement du territoire français du ressortissant étranger en situation irrégulière.

Sans changement par rapport à la contribution spéciale, le montant de l’amende est, au plus, égal à 5 000 fois le taux horaire du minimum garanti (MG) (20 750 euros au 1er janvier 2024). Il peut être majoré en cas de réitération et est alors, au plus, égal à 15 000 fois ce même taux (62 250 euros).

En revanche, la loi ne prévoit plus de montant minoré en cas de non-cumul d’infractions ou de paiement spontané par l’employeur des salaires et indemnités dus au salarié étrangers ans titre.

L’amende est appliquée autant de fois qu’il y a d’étrangers concernés.

Un plafonnement des sanctions applicables est prévu. Lorsqu’une sanction pénale est également prononcée (articles L.8256-2, L.8256-7 et L.8256-8 du code du travail) à l’encontre de la même personne, et pour les mêmes faits, le montant global des amendes prononcées ne peut dépasser le maximum légal le plus élevé des sanctions encourues.

Ces nouvelles dispositions entreront en vigueur après publication d’un décret en Conseil d’État.

Hausse des amendes pénales

Le montant de l’amende pénale encourue par l’employeur qui, directement ou par personne interposée, embauche, conserve à son service ou emploie pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France, passe de 15 000 à 30 000 euros, de 100 000 euros à 200 000 euros lorsque l’infraction est commise en bande organisée (article L.8256-2 du code du travail).

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Contribution des employeurs à la formation linguistique des étrangers allophones (article 23)

Plusieurs dispositions du code du travail sont modifiées afin d’améliorer la participation de l’employeur à la formation en français des salariés allophones, dans l’objectif de favoriser leur insertion professionnelle.

Dans le cadre du plan de développement des compétences, l’employeur peut proposer aux salariés allophones des formations visant à atteindre une connaissance de la langue française au moins égale à un niveau qui sera fixé par décret (article L.6321-1 du code du travail).

S’agissant des formations financées dans le cadre du compte personnel de formation et réalisées en tout ou partie durant le temps de travail, pour lesquelles une autorisation doit être demandée à l’employeur, la loi prévoit que l’autorisation d’absence est de droit, dans la limite d’une durée fixée par décret en Conseil d’Etat, pour les formations en français langue étrangère choisies par les salariés allophones signataires du contrat d’intégration républicaine et visant à atteindre une connaissance de la langue française au moins égale à un niveau déterminé par décret (article L.6323-17 du code du travail).

Des modalités spécifiques d’application de ces dispositions seront prévues par décret pour les salariés employés par des particuliers à leur domicile et les assistants maternels.

Enfin, pour les salariés allophones signataires du contrat d’intégration républicaine et engagés dans un parcours de formation linguistique visant à atteindre une connaissance de la langue française au moins égale à un niveau déterminé par décret, les actions de formation s’inscrivant dans ce parcours constituent du temps de travail effectif, dans la limite d’une durée fixée par décret en Conseil d’État, avec maintien de la rémunération par l’employeur (article L.6321-3 du code du travail).

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Véronique Baudet-Caille

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