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Prélèvement à la source : un projet lourd et risqué pour les entreprises ?

Un rapport de la commission des finances du Sénat pointe les surcoûts liés à la mise en place et à la gestion de cette réforme, ainsi que l’apparition d'une nouvelle responsabilité fiscale et pénale pour les tiers collecteurs - et les experts-comptables ? -. Le dispositif est examiné à l’Assemblée nationale dans les prochains jours.

Prélèvement à la source : un projet lourd et risqué pour les entreprises ?

Le futur prélèvement à la source (PAS) de l’impôt sur le revenu (IR) va-t-il accabler les entreprises ? C’est en tout cas l’avis d’Albéric de Montgolfier (LR), rapporteur général de la commission des finances du Sénat, qui vient de publier un rapport d’information sur le projet gouvernemental qui lui sera bientôt soumis dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2017.

Dans ce dispositif, 1,6 million d’employeurs privés (*) agiront comme « tiers collecteurs », au même titre que les employeurs publics, les caisses de retraite ou les sociétés d’assurance. Leur rôle se décomposerait en trois étapes : ils devraient d’abord appliquer le taux de prélèvement applicable à chaque salarié qui leur sera transmis par la DGFiP. Puis, ils retiendraient le PAS sur le salaire net à verser au titre du mois M, en appliquant le taux au salaire net imposable. Enfin, ils reverseraient à l’administration, en M+1, les prélèvements à la source du mois M. Pour les TPE qui ont recours au Tese (titre emploi service entreprise), l’Urssaf jouerait le rôle d’intermédiaire entre l’Etat et l’employeur, chargé de réaliser l’ensemble des étapes de collecte et de reversement.

Réorganisation des systèmes de paie

La mise en place de cette réforme nécessiterait une réorganisation des systèmes de paie des entreprises, « y compris lorsqu’ils sont externalisés auprès de mandataires comme des experts-comptables », estime le rapport sénatorial. Des coûts sont donc à prévoir pour adapter les outils de versement de revenus (logiciels de paye notamment) pour intégrer le taux d’imposition de chaque contribuable, ajoute-t-il (reprenant l’argumentation d’un rapport de 2012 du conseil des prélèvements obligatoires). Cependant, aucun chiffrage du coût de la mise en place de la réforme n’est fourni par la commission des finances.

Le gouvernement estime au contraire qu’ « aucun coût spécifique ne devrait être supporté par les entreprises pour la mise en conformité des logiciels pour la mise en place de la retenue à la source », selon son rapport d’évaluation préalable. La raison ? « La mise en place du prélèvement à la source capitalisera intégralement sur les avantages que la DSN [déclaration sociale nominative] représente pour [les entreprises privées] », affirme l’exécutif. Selon le projet de texte, le taux de PAS serait transmis par l’administration fiscale « en utilisant autant que possible les outils existant d’ores et déjà pour la déclaration sociale nominative. Ces outils seront également utilisés pour le reversement au Trésor par l’employeur ». En pratique, « le prélèvement à la source conduira à rajouter deux informations supplémentaires à la DSN (qui en compte aujourd’hui environ 280). (…) La mise en œuvre de la retenue à la source impliquera donc pour les collecteurs d’intégrer le fichier des taux dans leur système de paie et d’y procéder à deux boucles de calcul complémentaires (calcul du prélèvement et soustraction de celui-ci au revenu versé) », explique le gouvernement. « Cette évolution s’interprétant comme une évolution réglementaire (…), elle devrait trouver naturellement sa place dans les forfaits de maintenance », avance le rapport d’évaluation préalable.

Caractère non abouti de la DSN

Tous les employeurs privés entreront dans le champ de la DSN en juillet 2017. A temps pour l’entrée en vigueur du prélèvement à la source de l’IR au 1er janvier 2018 ? La commission des finances en doute et avertit des possibles « dysfonctionnements dans les premiers temps de la réforme, en raison du caractère non abouti de la DSN ». Car le déploiement de la DSN rencontre des difficultés, avec une généralisation reportée à plusieurs reprises. « Les retards constatés semblent être, en particulier, liés à une coordination insuffisante avec les développeurs de logiciels de paie. Dans ces conditions, il y a lieu de se demander si l’ajout du « volet » prélèvement à la source ne serait pas de nature à compliquer un peu plus le bon déploiement de la DSN, pouvant se révéler préjudiciable aux entreprises », estime le rapport sénatorial.

Probable hausse des honoraires des experts-comptables

Des coûts pourraient aussi surgir en régime de croisière du PAS. Car il s’agit, pour les entreprises, de gérer un nouveau flux d’informations avec l’administration fiscale. Et « il est improbable voire inimaginable que les experts-comptables ne facturent pas de supplément pour réaliser le prélèvement à la source », affirme Bénédicte Caron, vice-présidente de la CGPME, dans le rapport sénatorial.

Sans compter un coût caché lié au temps passé pour expliquer aux salariés cette réforme. « La charge de gestion supportée par les tiers collecteurs dans la durée [pourrait] être significative », selon Albéric de Montgolfier, qui fait la comparaison avec d’autres pays ayant mis en place le PAS : de 4 euros à 200 euros par salarié et par an ! « Compte tenu du degré de complexité du droit fiscal français, il y a lieu de s’inquiéter », avance le rapport sénatorial. Le gouvernement entend battre en brèche cet argument avec la mise en place d’un dispositif d’assistance pour les usagers (ainsi qu’à l’attention des tiers collecteurs) et le déploiement de campagnes d’information aux « moments clés » de la réforme. Objectif ? « Prévenir au maximum [l]es contacts chronophages » entre le collecteur et les bénéficiaires auxquels il verse un revenu, indique l’exécutif dans son évaluation préalable. Ces mesures suffiront-elles à fluidifier les relations entre les employeurs et leurs salariés ?

Les cabinets soumis au secret des données fiscales ?

Par ailleurs, ce projet pourrait faire émerger de « nouveaux risques juridiques » pour les entreprises, avec l’apparition de sanctions fiscales et pénales. Y compris en cas d’omissions déclaratives (le collecteur doit notamment déclarer chaque mois à l’administration fiscale « des informations relatives au montant prélevé sur le revenu versé à chaque bénéficiaire ») ou de retard de paiement. Il est notamment prévu de punir d’une amende pénale de 9000 euros et d’un emprisonnement de 5 ans les tiers collecteurs qui n’auraient « ni déclaré ni versé au comptable public les retenues […] effectuées […] si le retard excède un mois ».

Des sanctions sont également prévues en cas de violation par les entreprises du secret des données fiscales transmises par l’administration – en l’occurrence le taux du PAS. Cette obligation de secret professionnel a pour but de garantir la confidentialité des données transmises aux tiers collecteurs. En cas de non-respect intentionnel, le contrevenant écoperait de 5 ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende (100 000 euros pour certaines catégories d’employeurs). Ce dispositif soulève des questions quant à l’étendue du champ des personnes susceptibles d’être sanctionnées au titre de la révélation du taux du prélèvement à la source. « Les différentes personnes chargées de l’établissement des bulletins de paie (…) – qui peuvent être, le cas échéant, des experts-comptables – pourraient-elles « partager » pour des raisons techniques, les données transmises par l’administration ? », se demande la commission des finances du Sénat.

Bref, cette réforme comporte encore de « vastes zones d’ombre », qui pourraient être éclaircies par les parlementaires lors des débats. Il semble que le gouvernement soit ouvert pour d’éventuels ajustements à son projet.

 

Autres critiques du rapport sénatorial
– Contemporanéité du PAS relative : calcul du taux à partir de données datant d’une à deux années, non prise en compte des crédits d’impôt dans ce mécanisme, faible accessibilité des mécanismes de modulation ;

– Importantes régularisations ex post ;

– Protection lacunaire de la confidentialité de la situation fiscale des contribuables (taux de PAS révèle des informations relatives à la situation financière du contribuable + l’option pour le taux neutre est dissuasive car complexe) ;

– Pour l’année de transition, définition imprécise des revenus « non exceptionnels » ;

– Possibles incidences sur la relation employeur-salarié (revendications salariales…).

La commission des finances propose une alternative : la mise en place d’un prélèvement mensuel et contemporain.

 

(*) Source GIP-MDS, rapport d’évaluation préalable de l’article 38 du PLF pour 2017

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