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Les points de négociation lors d'une opération de cession
Céder au mieux son entreprise, c'est savoir négocier sur certains points importants. Voici nos conseils.
A cette étape du processus de cession, l’opération est déjà bien engagée. Le chef d’entreprise (cédant) a développé sa réflexion, s’est préparé psychologiquement à la transmission de sa société et va chercher à la transmettre de façon optimale.
C’est avec le concours de ses conseils – banquiers d’affaires et/ou avocats – qu’il va entamer et mener les négociations avec un ou plusieurs acquéreurs potentiels.
Son objectif : maximiser le prix de vente de son entreprise au travers d’un instrument liquide (cash ou titres négociables) tout en obtenant des garanties pour pérenniser la transmission et la continuation de la société. Quels points essentiels le cédant doit-il négocier et de quelle marge de manœuvre dispose-t-il pour parvenir à son objectif ? Quelle stratégie de négociation peut-il mener ?
Le cédant va chercher à transmettre son entreprise au prix de vente le plus élevé et payable par des instruments liquides. De son côté, l’acquéreur aura un point de vue inverse : il va chercher à acquérir une cible intéressante tout en évitant de grever sa trésorerie et détériorer sa structure financière.
Par ailleurs, l’adage « rien n’est jamais acquis » s’appliquent particulièrement aux opérations de rapprochement d’entreprises puisque jusqu’à la signature finale de l’accord de vente voire au delà, les modalités ou l’opération elle-même peuvent être remis en question. C’est pourquoi, le cédant va chercher à minimiser tout risque d’action ultérieure que pourrait entamer l’acquéreur pour remettre en cause le prix de l’opération, les modalités voire l’opération elle-même. En effet, au moment de la cession, l’acquéreur va exiger un certain nombre de garanties et clauses dans l’optique de limiter tout risque lié à l’acquisition et d’optimiser son opération. Il va par exemple exiger une garantie de passif, un pacte d’actionnaires voire une clause « d’earn-out » qui indexera le prix de la transaction sur les performances futures de la société cédée.
Bref, on le voit, les intérêts du cédant et de l’acquéreur sont le plus souvent ambivalents et toute la difficulté des négociations va être de protéger les deux parties en tenant compte de leurs intérêts opposés. Le contrat final reflètera un compromis entre les acteurs qui explicitera les actions possibles de chacune des parties en fonction d’évènements déterminés (objectifs quantitatifs, passif non révélé, départs d’hommes clés,…) et sera ainsi porteur de conséquences sur la suite de la transaction (modification du prix,…)
Pour garantir l’opération et minimiser les risques « post-transmission », le cédant a intérêt à suivre un certain nombre d’étapes afin de pouvoir négocier au mieux la transaction.
Négocier avec un ou plusieurs acquéreurs potentiels
Lorsque le chef d’entreprise mandate un banquier d’affaires pour opérer la cession de son entreprise, ce dernier va d’abord analyser en profondeur la société à céder afin de pouvoir réaliser un mémorandum de vente. C’est à partir de cet instant, que le banquier- conseil va rechercher, à partir des informations dont il dispose, des acquéreurs potentiels. Dans certains cas et le plus souvent dans l’intérêt du cédant, il va même lancer une « auction sale » ou procédure de mise aux enchères de l’entreprise : il envoie à un certain nombre d’acteurs (banques d’affaires, chefs d’entreprises,..) le mémorandum de vente et les structures intéressées doivent se faire connaître et présenter une première proposition à une date limite.
L’objectif de cette procédure est de pouvoir sélectionner une « short-list » c’est-à-dire un certain nombre d’acquéreurs qualifiés afin de les mettre en concurrence et d’obtenir de bonnes conditions lors de la vente. Mettre en concurrence un certain nombre d’acquéreurs potentiels constitue un atout majeur pour le cédant dans la suite des négociations. Il pourra en effet, tant qu’il sera en contact avec plusieurs acquéreurs potentiels, refuser des clauses qui limitent sa marge de manœuvre et faire jouer la concurrence. Par exemple, le cédant peut refuser une négociation exclusive que ce soit une obligation de négociation (clause de « lock-in ») ou une interdiction de négociations multilatérales (clause de « lock-out »). Il pourra dès lors qu’il aura sélectionné une « short-list », entrer en contact et entamer des négociations avec plusieurs acquéreurs en même temps. On comprend l’avantage du cédant quant à la suite de l’opération.
Cependant, mener des négociations avec plusieurs acteurs n’est pas chose évidente. Tout d’abord le cédant ne devra pas s’engager dans des « conditions de relation » avec les acquéreurs (accès à une « data room », publication du prix demandé,…) au risque de perdre toute la marge de manœuvre dont il disposait. Par ailleurs, il est important que le cédant traite les acquéreurs de la même façon au risque d’être poursuivi pour rupture abusive de pourparlers ou encore manquement grave à la déontologie des affaires.
Aussi, même si cela est difficile à mettre en œuvre, le cédant à intérêt à mettre en concurrence des acquéreurs afin de bénéficier d’une marge de manœuvre certaine quant à la négociation des clauses importantes et aussi pour bénéficier d’une amélioration du prix s’il parvient à faire jouer correctement et légalement la concurrence.
Obtenir un engagement de reprise complet
Ce point de négociation est très délicat car il va falloir faire preuve de créativité pour dépasser les arguments et contre-arguments de chacune des parties. L’objectif du cédant est de faire reprendre la totalité ou presque des actifs et du personnel de la société
En effet, l’acquéreur va le plus souvent chercher à prouver que l’entreprise n’est pas idéalement adaptée à son environnement c’est-à-dire qu’il va chercher à démontrer qu’elle dispose de surcapacités de production, qu’elle est en sureffectif,…L’objectif est de faire douter de la viabilité de l’entreprise dans la configuration actuelle et ainsi de faire supporter par le cédant des coûts de restructuration préalablement à la cession. Si le cédant est en contact avec plusieurs acquéreurs, il sera plus facile de négocier ce point puisqu’il pourra se cacher derrière d’autres offres (réelles ou virtuelles) pour décliner la demande de l’acquéreur.
De la même façon, le cédant va avoir tendance à cacher l’existence de « points faibles », de contrats, des « poids » structurels, pour éviter de subir une baisse du prix de vente de l’entreprise et faire supporter les coûts de restructuration non par lui-même mais par l’acquéreur en aval de la transmission.
Par ailleurs dans la négociation de la reprise, le cédant (qui détient généralement un bloc de titres et non la totalité du capital), va devoir négocier avec l’acquéreur la reprise de l’ensemble des titres. Le cédant est en effet souvent lié par un pacte d’actionnaires à des associés minoritaires et il va devoir, le cas échéant, respecter les clauses de retrait et de sortie conjointe du pacte. Cela signifie que lors de l’acquisition, le cédant va devoir négocier la reprise des titres des associés minoritaires, ce qui leur permettra, s’ils le souhaitent, de se désengager de la société cédante dans les mêmes conditions.
Si de telles clauses lient les associés, toute transaction qui conduira le cédant à se défaire de son bloc de contrôle sans désengagement simultané des actionnaires minoritaires qui le souhaitent, dans les mêmes conditions (notamment en termes de prix et de modalités de paiement), pourra conduire à engager la responsabilité du cédant vis-à-vis des minoritaires et donc l’amener à dédommager ces derniers en fonction du préjudice subi.
Le contrôle de l’information lors des négociations
Une fois qu’une « short-list » d’acquéreurs potentiels à été établie, les candidats intéressés par l’acquisition vont demander de plus en plus d’informations en quantité et en qualité afin de pouvoir se forger une opinion légitime sur la cible. Si le cédant peut refuser de fournir un certain nombre d’informations sensibles au stade préliminaire des négociations, il devra quoi qu’il advienne, de plus en plus informer le ou les acquéreurs intéressés.‘Il pourra malgré tout se protéger au fur et à mesure de la divulgation des informations avec des instruments juridiques appropriés comme un engagement de confidentialité étoffé par exemple, mais il sera contraint de fournir de plus en plus d’informations clés sur l’ensemble des éléments, comptes et autres contrats de sa société au risque, dans le cas contraire de compromettre sérieusement les négociations et donc l’opération.
Cependant, dans la dernière phase des négociations, une fois qu’une valorisation aura été établie par les deux parties, le rapport de force entre cédant et acquéreur va s’inverser. Ce dernier peut en effet menacer de suspendre les négociations, s’il n’obtient pas de la part du cédant, des informations déterminantes sur la société. Ces informations sont nécessaires à l’acquéreur pour qu’il se forge une opinion définitive sur la cible et sur son « potentiel ». Il s’agira par exemple d’analyser le caractère exclusif ou non des contrats signés avec de gros fournisseurs, d’examiner les contrats d’importants clients ou encore de valider les actes de propriété de certains actifs (brevets, immobilisations,…). A ce niveau là de la négociation, que peut alors entreprendre le cédant ?
En réalité deux possibilités s’offrent à lui. Il peut ne divulguer les informations qu’une fois qu’il aura obtenu un engagement irrévocable d’acquisition à une certaine valorisation de la part de l’acquéreur et sous réserve des résultats de la « due diligence ». Cette situation est bien évidemment la plus favorable pour le cédant, puisque même si l’acquéreur peut réviser la valorisation et / où les modalités de paiement en fonction des résultats de la « due diligence », il sera contraint d’acquérir la cible. Dans les faits, cette situation est assez rare car si le cédant refuse de divulguer ces informations très sensibles, c’est qu’elles cachent souvent des éléments négatifs.
L’autre possibilité qui s’offre au cédant est de répondre à la demande d’informations de l’acquéreur. Dans cette situation, le cédant accepte le risque de voir l’acquéreur mettre fin aux opérations. En effet, si les informations dévoilées révèlent l’existence de risque majeurs quant à l’avenir de la cible, l’acquéreur pourra purement et simplement mettre fin à l’opération. Cette configuration est d’autant plus délicate si l’acquéreur est un concurrent de la cible puisqu’il aura connaissance d’informations clés ce qui pourra sans aucun doute, porter un préjudice commercial majeur à la cible.
Aussi, toute la force et la marge de manœuvre que pourra avoir le cédant à cette étape décisive des négociations, résultera de sa capacité à transmettre progressivement l’information à l’acquéreur. Il est en effet quasiment inenvisageable que l’acquéreur signe un engagement irrévocable avant d’avoir pu accéder à certaines informations. En revanche, si la qualité des informations transmises s’améliore progressivement, la confiance va s’instaurer entre les deux parties et l’acquéreur acceptera plus tôt de signer un engagement ferme même si il n’a pas encore connaissance des dernières informations clés.
Obtenir et optimiser l’engagement ferme de l’acquéreur
Cette étape est la dernière phase avant la cession réelle de la cible. C’est là que les éléments à négocier sont les plus nombreux et les plus délicats aussi, dans la mesure où certains points peuvent lier et engager la responsabilité du cédant et / où de l’acquéreur dans la phase « post-acquisition ».
Une fois prise la décision d’acquisition, les discussions vont essentiellement porter sur la rédaction de la garantie d’actif et de passif. Si le cédant ne pourra généralement qu’accepter de signer une garantie « standard » portant sur des risques existants actuels ou potentiels, il devra faire attention à ne pas engager sa responsabilité dans la phase « post-acquisition » notamment s’il s’agit d’une cession simple. En effet, l’acquéreur va de son côté chercher à étendre au maximum les garanties souscrites par le cédant que ce soit sur des contrats existants ou futurs ou encore sur des garanties de marges minimum afin de pouvoir être indemnisé ou tout au moins non pénalisé si certains événement devaient survenir. Le cédant ne doit en aucun cas adhérer à de telles clauses. Il ne doit s’impliquer sur des contrats ou résultats futurs que s’il se désengage progressivement de la société. Dans le cas contraire, c’est-à-dire s’il s’agit d’une cession simple, souscrire à de telles clauses, reviendrait pour le cédant à garantir des résultats ou des performances alors qu’il n’en est plus maître, ce qui est impensable. Bref, le cédant doit analyser les clauses proposées par l’acquéreur et ne se porter garant que sur des évènements passés ou probables qui découleraient de sa responsabilité.
De plus, une fois l’étendue de la garantie de passif établie, les parties vont devoir négocier les caractéristiques de l’engagement de reprise. Mais là encore, l’ambivalence des objectifs entre acquéreur et cédant complique les choses. Le premier va en effet chercher à laisser des « portes ouvertes » pour la suite de l’opération, qui pourraient aller jusqu’à remettre en cause la cession ou le prix de cession. Le second lui, va chercher à se protéger de toute remise en cause de l’opération. Mais quel est le pouvoir du cédant ?
Il a tout d’abord intérêt à analyser toutes les clauses susceptibles de remettre en cause partiellement ou en totalité l’opération. Deux clauses sont particulièrement importantes. La première vise à éliminer définitivement des négociations les autres acquéreurs. Le cédant ne doit accepter cette clause que si l’acquéreur a signé un engagement ferme d’acquisition. Auquel cas, il pourra négocier de façon exclusive avec un acquéreur et non avec plusieurs acquéreurs. Nous avons en effet noté qu’il était difficile de mener des négociations multilatérales. Négocier avec un seul intéressé ayant signé un engagement ferme permettra sans nul doute d’améliorer les conditions et le prix de cession. Autrement, le cédant n’adhérera à aucune clause pouvant remettre en cause l’opération. Par exemple pour la clause précédente, le cédant a intérêt à divulguer progressivement des éléments forts quant à la viabilité et au potentiel de sa société jusqu’à obtenir un engagement correct et ferme d’un acquéreur, qui lui permettra alors d’écarter les autres. Mais il ne peut écarter immédiatement tous les acquéreurs potentiels car il risquerait de perdre toute chance de succès.
La seconde clause de plus en plus réclamée par les acquéreurs est la clause « d’earn-out » qui s’apparente à une garantie de Business Plan. Par cette clause, l’acquéreur va demander à payer la partie complémentaire d’une cible en fonction des résultats futurs. Autrement dit, si les prévisions des 2 ou 3 prochains exercices présentées dans le Business Plan sont atteintes, l’acquéreur paiera la prix « normal », mais si les objectifs ne sont pas atteints, le prix d’acquisition sera réduit. Cette clause ne doit être acceptée par le cédant que s’il conserve pendant un certain temps après l’acquisition une fonction au sein de la société, c’est-à-dire s’il se désengage progressivement de la cible. Autrement, si les objectifs ne sont pas atteints alors qu’il n’est plus dans l’entreprise, le prix d’acquisition risque de baisser alors que le cédant ne sera aucunement responsable de la non réalisation des objectifs. Cependant dans une logique d’association avec désengagement progressif du cédant, cette clause est appréciable dans la mesure où elle permet de concilier les écarts d’appréciation entre le cédant et l’acquéreur sur la valorisation de la société. La clause devra en outre être parfaitement rédigée (éléments de fixation du prix complémentaire convenus à l’avance et de façon objective) au risque sinon d’entraîner la nullité de l’opération même en phase post-acquisition. Cette nullité découle en droit français du principe de l’indétermination du prix qui rend la vente imparfaite et peut donc entraîner sa nullité relative ou absolue.
Enfin, une fois que les deux parties arrivent à la conclusion d’un accord sur la cession, le dernier point contre lequel le cédant va devoir se protéger est le paiement du prix de cession. En effet, dans la pratique, le prix est généralement payé en plusieurs tranches sur plusieurs mois ou années par l’acquéreur. Pour se prémunir de tout risque (cessation de paiement de l’acquéreur à moyen terme, remise en cause de l’opération,…), le cédant a intérêt à obtenir une sécurisation du paiement par l’acquéreur. Cette garantie peut par exemple être consentie par l’actionnaire de référence de l’acquéreur ou encore une banque. Le cédant pourra alors faire jouer immédiatement la garantie en cas de défaillance des paiements futurs. Un telle garantie est courante dans les opérations de Fusions-Acquisitions.
En définitive, il s’avère que les éléments à négocier lors d’une opération de cession sont nombreux et délicats. Il n’y a pas une stratégie à adopter mais une pluralité de voies à suivre. Pour le cédant, l’idéal est comme nous l’avons vu de mettre en concurrence les acquéreurs dans les phases préliminaires des négociations. En divulguant progressivement des informations sensibles sur son entreprise, il pourra instaurer un certain climat de confiance propice à l’avancée de l’opération. C’est dans cette atmosphère qu’il pourra obtenir un engagement ferme d’un acquéreur et écarter ainsi les autres candidats. Ce point de rupture est facilement identifiable. Si en théorie, l’idéal pour le cédant serait de mettre en concurrence jusqu’à l’issue de l’opération l’ensemble des acquéreurs, cette configuration est absolument à éviter dans la réalité. De véritables négociations multilatérales sont trop complexes à mener et risque de mettre fin aux négociations avec toutes les parties. Seul, face à un acquéreur mis en relative confiance, il sera plus aisé pour le cédant d’obtenir des concessions et des clauses intéressantes quant à l’engagement définitif de l’acquéreur.
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