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Entrepreneur individuel : comment renoncer à la protection de son patrimoine personnel ?
Un entrepreneur individuel peut, sur demande écrite d'un créancier, renoncer à la protection de son patrimoine personnel pour un engagement spécifique. Voici tout ce qu’il faut savoir sur les enjeux, les conséquences et les modalités de cette renonciation.
Promulguée le 14 mai, la loi en faveur de l’activité professionnelle indépendante est entrée en vigueur le 15 mai 2022. Tout nouvel entrepreneur individuel bénéficie désormais de plein droit de la séparation des patrimoines professionnel et personnel. L’avantage de cette distinction est de taille : les créanciers professionnels ne peuvent pas – par principe – saisir le patrimoine personnel de l’entrepreneur en cas de pépin. Toutefois, l’entrepreneur individuel peut renoncer à la protection de son patrimoine personnel pour un « engagement spécifique », en particulier pour obtenir un crédit bancaire. Voici tout ce qu’il faut savoir sur cette possibilité.
Guide de création d'une entreprise individuelle 2022
Pour rappel, avant le 15 mai 2022, seule la résidence principale de l’entrepreneur était protégée de plein droit. Pour séparer l’ensemble de son patrimoine, l’exploitant était obligé d’opter pour l’entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL), un régime peu attractif (formalisme lourd) désormais éteint.
Remarque : pour les entrepreneurs qui exerçaient déjà une activité sous le statut de l’entreprise individuelle avant le 15 mai 2022, la distinction ne s’applique qu’aux créances nées après cette date.
Le patrimoine personnel est constitué des éléments du patrimoine de l’entrepreneur individuel non compris dans le patrimoine professionnel.
Le patrimoine professionnel d’un entrepreneur individuel est constitué des biens, droits, obligations et sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire et qui sont utiles à son activité ou à ses activités professionnelles indépendantes.
Les éléments « utiles » sont ceux qui servent l’activité de l’entrepreneur individuel par nature, par destination ou en fonction de leur objet, tels que (liste non-exhaustive) :
- le fonds de commerce, le fonds artisanal, le fonds agricole, tous les biens corporels ou incorporels qui les constituent et les droits y afférents et le droit de présentation de la clientèle d’un professionnel libéral ;
- les biens meubles comme la marchandise, le matériel et l’outillage, le matériel agricole, ainsi que les moyens de mobilité pour les activités itinérantes telles que la vente et les prestations à domicile, les activités de transport ou de livraison ;
- les biens immeubles servant à l’activité, y compris la partie de la résidence principale de l’entrepreneur individuel utilisée pour un usage professionnel (lorsque ces immeubles sont détenus par une société dont l’entrepreneur individuel est actionnaire ou associé et qui a pour activité principale leur mise à disposition au profit de l’entrepreneur individuel, les actions ou parts d’une telle société) ;
- les biens incorporels comme les données relatives aux clients, les brevets d’invention, les licences, les marques, les dessins et modèles, et plus généralement les droits de propriété intellectuelle, le nom commercial et l’enseigne ;
- les fonds de caisse, toute somme en numéraire conservée sur le lieu d’exercice de l’activité professionnelle, les sommes inscrites aux comptes bancaires dédiés à cette activité, ainsi que les sommes destinées à pourvoir aux dépenses courantes relatives à cette même activité.
Lorsque l’entrepreneur individuel est tenu à des obligations comptables légales ou réglementaires, son patrimoine professionnel est présumé comprendre au moins l’ensemble des éléments enregistrés au titre des documents comptables, sous réserve qu’ils soient réguliers et sincères et donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entreprise.
Remarque : les documents comptables sont également présumés identifier la rémunération tirée de l’activité professionnelle indépendante, qui est comprise dans le patrimoine personnel de l’entrepreneur individuel.
À noter, les créanciers privés (non-professionnels) ont la possibilité de s’attaquer au patrimoine professionnel si le patrimoine personnel est insuffisant pour apurer les dettes personnelles (la partie saisissable est limitée au bénéfice dégagé lors du dernier exercice comptable).
En cas de contentieux, la charge de la preuve incombe à l’entrepreneurEn cas de saisi, c’est à l’entrepreneur individuel, qui dispose des éléments comptables et d’inventaire permettant d’établir la consistance de chacun de ses deux patrimoines, d’apporter la preuve que le bien saisi n’appartient pas au gage du créancier saisissant. « La responsabilité du créancier saisissant peut être recherchée pour abus de saisie lorsqu’il a procédé à une mesure d’exécution forcée ou à une mesure conservatoire sur un élément d’actif ne faisant manifestement pas partie de son gage général » (Art. L. 526-22 du code du commerce). |
Lire aussi Entrepreneur individuel : la notion de patrimoine professionnel définie
Pour accéder au crédit. Les créanciers, principalement les banques, risquent de ne pas se satisfaire d’un droit de gage ne portant que sur le patrimoine professionnel. Renoncer à la protection de son patrimoine personnel permet ainsi d’obtenir plus facilement un prêt pour se développer et investir. L’entrepreneur redevient en revanche responsable des dettes professionnelles de l’entreprise sur tout son patrimoine.
La question de la renonciation à la protection du patrimoine personnel a longuement été débattue par les députés et les sénateurs. L’enjeu ? Garantir l’accès au crédit en réduisant la protection du patrimoine de l’entrepreneur individuel ou garantir la protection du patrimoine en réduisant l’accès au crédit.
Quelles sont les avantages ?
Le gouvernement a souhaité introduire « un nouvel acte de renonciation à la protection [du patrimoine personnel] émanant de l’entrepreneur individuel lui-même […] pour éviter le risque d’assèchement des crédits », comme justifié dans l’exposé des motifs du projet de loi.
De ce point de vue, mieux vaut ainsi rendre service aux entrepreneurs individuels que de les empêcher de gager leur patrimoine personnel s’ils le souhaitent. Pour certains, les banques sont davantage des partenaires et auraient tout intérêt à jouer le jeu et à solliciter le moins souvent possible – uniquement lorsque la qualité de crédit est réellement médiocre – la renonciation à la séparation des patrimoines.
Quelles sont les inconvénients ?
D’un autre côté, cette exception remet en cause le principe même de la séparation des patrimoines. Plusieurs députés et sénateurs ont ainsi partagé leur crainte de voir fréquemment (et non le moins souvent possible) les créanciers exercer leur droit d’option en demandant aux indépendants d’y renoncer.
Le Conseil d’État a également exprimé « ses doutes […] quant à l’effectivité de la protection offerte à l’entrepreneur individuel en tant que débiteur compte tenu des rapports de force économiques en présence ». Un déséquilibre surtout préjudiciable aux plus petites entreprises dont le patrimoine affecté est minime. Les créanciers seraient plus enclins à exiger cette renonciation que le risque de défaut de l’entreprise est grand.
Pour tempérer ce risque, un délai de réflexion de 7 jours avant la signature de la renonciation (différent d’un délai rétractation) a été introduit. L’entrepreneur individuel repart ainsi avec la proposition et dispose de 7 jours pour se faire conseiller avant de décider de signer ou de ne pas signer.
Que dit la loi ?
L’article L. 526-25 du code de commerce stipule que :
« L’entrepreneur individuel peut, sur demande écrite d’un créancier, renoncer à [la protection de son patrimoine personnel], pour un engagement spécifique dont il doit rappeler le terme et le montant, qui doit être déterminé ou déterminable. Cette renonciation doit respecter, à peine de nullité, des formes prescrites par décret [cf. ci-après]. Elle ne peut intervenir avant l’échéance d’un délai de réflexion de sept jours francs à compter de la réception de la demande de renonciation. Si l’entrepreneur individuel fait précéder sa signature de la mention manuscrite énoncée par décret et uniquement de celle-ci, le délai de réflexion est réduit à trois jours francs. »
La mention écrite permettant de réduire le temps de réflexion à 3 jours est la suivante :
« Je déclare par la présente renoncer au bénéfice du délai de réflexion de sept jours francs, fixé conformément aux dispositions de l’article L. 526-25 du code de commerce. En conséquence, ledit délai est réduit à trois jours francs. »
Remarque : cette possibilité de réduire le délai de réflexion à 3 jours a été introduite pour les engagements de faible montant.
Lire aussi Loi indépendant : le statut unique d’entrepreneur individuel définitivement adopté
L’entrepreneur individuel qui souhaite renoncer à la protection de son patrimoine personnel doit signer un acte de renonciation à la protection du patrimoine personnel. Le bénéficiaire de la renonciation doit informer l’entrepreneur individuel des conséquences de celle-ci sur ses patrimoines.
Une fois la proposition de renonciation reçue, l’entrepreneur individuel dispose de 7 jours de réflexion pour se décider. Il peut choisir, avec le bénéficiaire de réduire ce délai à 3 jours, en apposant la mention manuscrite suivante : “Je déclare par la présente renoncer au bénéfice du délai de réflexion de sept jours francs, fixé conformément aux dispositions de l’article L. 526-25 du code de commerce. En conséquence, ledit délai est réduit à trois jours francs.”
Si le bénéficiaire de cette renonciation est un établissement de crédit ou une société de financement, il remet gratuitement un exemplaire du modèle type à l’entrepreneur individuel qui en fait la demande. Ce modèle type figure dans un arrêté du 12 mai 2022.
Quelles sont les informations à fournir concernant l’engagement ?
Les informations à transmettre concernant l’engagement dans l’acte de renonciation à la séparation des patrimoines sont les suivantes :
- la date de l’engagement ;
- l’objet de l’engagement ;
- la date d’échéance de l’engagement, c’est-à-dire la date contractuelle prévue pour le remboursement total des sommes dues au titre de l’engagement, étant précisé que celle-ci peut être prorogée soit par un accord des parties soit par une décision judiciaire ;
- le montant de l’engagement ou les éléments permettant de le déterminer ; ces éléments, une fois spécifiés dans l’acte de renonciation fixent définitivement le plafond pour lequel une même renonciation vaut ;
- la date de demande de la renonciation.
L’entrepreneur individuel et le bénéficiaire de la renonciation apposent leur signature sur l’acte, ainsi que la date et le lieu. La signature électronique qualifiée est autorisée.
Quelles sont les informations à fournir concernant l’entrepreneur individuel ?
Les informations à transmettre concernant l’entrepreneur individuel dans l’acte de renonciation à la séparation des patrimoines sont les suivantes :
- le nom de naissance, nom d’usage, prénoms, nationalité, date et lieu de naissance et domicile ;
- l’activité ou les activités professionnelles et, s’il en est utilisé, le nom commercial et l’enseigne ainsi que les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223 ;
- l’adresse de l’établissement principal où est exercée l’activité professionnelle, ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée ;
- le numéro unique d’identification de l’entreprise, délivré conformément à l’article D. 123-235, si l’entrepreneur est déjà immatriculé, ou, lorsqu’elle est antérieure à la date d’immatriculation, la date déclarée du début d’activité.
Quelles sont les informations à fournir concernant le bénéficiaire de la renonciation ?
Les informations à transmettre concernant le bénéficiaire (personne physique) dans l’acte de renonciation à la séparation des patrimoines sont les suivantes :
- le nom de naissance, nom d’usage, prénoms, date, lieu de naissance et domicile du bénéficiaire de la renonciation ;
- le cas échéant, l’activité ou les activités professionnelles exercées, l’adresse de l’établissement principal où est exercée l’activité professionnelle, ou, à défaut d’établissement, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée et, s’il en est utilisé, le nom commercial et l’enseigne ainsi que les numéros et codes caractérisant l’activité ou les activités visés aux 1° à 3° de l’article R. 123-223 et le numéro unique d’identification de l’entreprise délivré conformément à l’article D. 123-235.
Les informations à transmettre concernant le bénéficiaire (personne morale) dans l’acte de renonciation à la séparation des patrimoines sont les suivantes :
- la raison sociale ou la dénomination sociale, suivie, le cas échéant, du sigle et de la forme ;
- l’adresse du siège social ou de l’établissement, ou, à défaut, l’adresse du local d’habitation où l’entreprise est fixée ;
- le numéro unique d’identification de l’entreprise, délivré conformément à l’article D. 123-235 ;
- l’indication que le bénéficiaire de la renonciation est un établissement de crédit ou une société de financement au sens de l’article L. 511-1 du code monétaire et financier.
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