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Une différence de 10 centimes peut fonder une condamnation de l’employeur pour discrimination salariale

Même minime, un écart de salaire constitue une présomption de « l’existence d’une discrimination », dès lors que « le salarié se plaignait d’une discrimination salariale fondée sur sa situation de travailleur handicapé », indique la chambre sociale de la Cour de cassation dans un récent arrêt.

Une différence de 10 centimes peut fonder une condamnation de l’employeur pour discrimination salariale
"L’employeur doit démontrer que la différence de traitement est justifiée par des éléments étrangers à toute discrimination en raison du handicap". © Getty Images

Un écart de 10 centimes de rémunération entre deux salariés, dont l’un est handicapé, peut fonder une condamnation de l’employeur pour discrimination salariale. La chambre sociale de la Cour de cassation a, dans une décision rendue le 14 février dernier (pourvoi n° 22-10.513), rejeté le pourvoi formé contre un arrêt d’appel ayant condamné un employeur qui n’avait pas démontré qu’une différence de traitement ne reposait pas sur des éléments étrangers à toute discrimination.

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Un salarié reconnu travailleur handicapé

Voici les faits. Un salarié, reconnu travailleur handicapé, occupait un emploi d’aide bobineur dans une entreprise. Licencié le 17 novembre 2016 pour motif disciplinaire par la société, il a saisi un conseil de prud’hommes « de diverses demandes au titre de l’exécution et de la rupture de son contrat de travail », relate la Cour de cassation.

Dans un arrêt du 18 novembre 2021, la cour d’appel de Nancy a condamné l’employeur à verser des dommages et intérêts pour discrimination salariale. La société a formé un pourvoi devant la juridiction suprême de l’ordre judiciaire.

L’argumentation de l’employeur devant la Cour de cassation

Selon l’un des moyens présentés, « lorsque le salarié présente plusieurs éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, le juge doit apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l’existence d’une telle discrimination », rapporte la Cour de cassation. D’après la société, les juges du fond ont « déduit l’existence d’une discrimination de la seule différence de 10 centimes de l’heure entre le montant d’une prime versée au salarié et celui alloué à un autre membre du personnel […], après avoir retenu que l’employeur n’établissait pas » que ce second salarié « avait la qualité de référent » permettant « une différence de traitement ». Devant la plus haute juridiction judiciaire, la société argue « qu’en s’abstenant de constater que la discrimination invoquée était présumée du fait du handicap du salarié, la cour d’appel a violé les articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du Code du travail ».

Elle affirme en outre que les juges du fond ont privé leur « décision de base légale au regard » de ces textes. Pour l’employeur, la cour d’appel n’aurait pas dû se limiter à « relever qu’il résultait de deux attestations versées aux débats par le salarié que la direction n’avait jamais évoqué l’existence de référents techniques, aux bobineuses comme aux machines, pour en déduire que l’employeur ne justifiait pas la différence de traitement par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ».

La différence de salaire, une présomption de discrimination

La Cour de cassation n’est pas convaincue par cette argumentation. En seconde instance, les juges ont fait « ressortir » que l’écart salarial, même minime, « laissait présumer l’existence d’une discrimination », dès lors que « le salarié se plaignait d’une discrimination salariale fondée sur sa situation de travailleur handicapé ». La cour d’appel a « estimé, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, que l’employeur ne démontrait pas que cette différence de traitement était justifiée par des éléments étrangers à toute discrimination en raison du handicap ».

La juridiction suprême de l’ordre judiciaire rejette le pourvoi et condamne la société aux dépens ainsi qu’à la somme de 3 000 € au titre des frais exposés et non compris dans les dépens (C. pr. civ., art. 700).

L’employeur doit prouver l’absence de discrimination

La solution est partiellement novatrice. « Dans le cas d’une discrimination sur le handicap du salarié, la Cour de cassation avait déjà jugé que devait être effectuée une comparaison avec un panel de personnes recrutées sur le même poste, bénéficiaires d’un diplôme équivalent au sien et ayant une ancienneté similaire », explique le 1er avril à NetPME l’avocat Michaël Amado, citant un arrêt rendu le 25 janvier 2011 par la chambre sociale (pourvoi n° 09-40.217).

La nouvelle décision « vient préciser que l’employeur doit démontrer que la différence de traitement est justifiée par des éléments étrangers à toute discrimination en raison du handicap », poursuit notre interlocuteur. C’est donc à l’employeur d’apporter la preuve négative de non-discrimination » devant les juges du fond, qui détiennent un pouvoir souverain d’appréciation.

Le principe de l’interdiction des discriminations, la possibilité de différences de traitement

L’article L. 1132-1 du Code du travail pose le principe suivant lequel nul « ne peut être écarté d’une procédure de recrutement ou de nomination ou de l’accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte […], notamment en matière de rémunération […], de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, d’horaires de travail, d’évaluation de la performance, de mutation ou de renouvellement de contrat » pour un motif discriminatoire. Le texte énumère 26 critères discriminatoires parmi lesquels l’origine, le sexe, l’orientation sexuelle ou encore la perte d’autonomie ou le handicap.

Les règles de charge de la preuve en matière de litige sont inscrites à l’article L. 1134-1. Le candidat ou le salarié présente des éléments de fait laissent supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte. C’est à l’autre partie, en l’espèce l’employeur, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La juge forge sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, des mesures d’instruction.

Comme le rappelle Michaël Amado, l’article L. 1132-1 ne fait pas obstacle aux différences de traitement, lorsqu’elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l’objectif soit légitime et l’exigence proportionnée (C. trav., art. L. 1133-1).

Des distinctions peuvent être opérées suivant l’état de santé, « à condition cependant qu’elles soient objectives, nécessaires et appropriées », explique notre interlocuteur. L’employeur doit s’appuyer sur l’avis d’inaptitude émis par le médecin du travail. « C’est sur le fondement de cet avis du médecin du travail qu’il est possible de légitimer une affectation spécifique du salarié à un nouveau poste, même si la différence d’évolution de carrière qui en résulte pour ce salarié constitue alors une différence de traitement, celle-ci étant alors qualifiée d’objective et d’appropriée », ajoute Me Amado, citant deux arrêts d’appel, rendus l’un par la cour de Riom le 4 mars 2008, l’autre par la cour de Paris le 28 janvier 2003.

Timour Aggiouri

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