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Délais de paiement : « Le retour à la situation d’avant-crise est trop long » (A. Griset)

Les délais de paiement se sont dégradés en 2020 malgré les mesures de soutien déployées durant la crise. Les effets de la reprise se font attendre, les grandes entreprises sont encore pointées du doigt, les PME trinquent toujours autant.

Délais de paiement : « Le retour à la situation d’avant-crise est trop long » (A. Griset)
Le ministre chargé des PME, Alain Griset, a fait part de son mécontentement lors de la remise publique du rapport 2020 de l’Observatoire des délais de paiement à Bercy, le 28 septembre 2021. © Sameer Al-DOUMY / AFP

« Comment expliquer que les principaux indicateurs économiques retrouvent leur niveau d’avant-crise mais que nous en soyons encore très loin en ce qui concerne les délais de paiement ? », s’est exaspéré le ministre chargé des PME, Alain Griset, lors de la remise publique le 28 septembre du rapport 2020 de l’Observatoire des délais de paiements à Bercy. D’un peu plus de 11 jours au-delà du délai légal [60 jours à partir de la facturation, ndlr] en janvier 2020, les retards de paiement ont dépassé les 15 jours durant l’été, avant de descendre sous les 13 jours en fin d’année. « Nous ne sommes pas encore aujourd’hui repassés sous le seuil des 12 jours, a regretté l’ex-patron de l’U2P. Le retour à la situation d’avant-crise est très long, trop long. L’Allemagne est à 7 jours, les Pays-Bas à 4 jours. Nous sommes dans une situation qui ne peut pas continuer. »

Pourtant, grâce notamment aux « dispositifs publics massifs de soutien et d’aides en trésorerie » et à « l’aménagement des conditions de règlement trouvé entre entreprises », la dégradation des délais de paiement en France en 2020 n’a pas été catastrophique. « Il n’y a pas eu de dérive complète des comportements de paiement [+ 1,4 jours sur 2020 par rapport à 2019, ndlr] », note l’Observatoire. Hormis pour certains secteurs comme l’hébergement restauration et les activités d’information et de communication (+ 5 jours en 2020 par rapport à 2019), « confirmant la force de la crise sur ces métiers ».

L’État (-2,1 jours en moyenne), les régions (- 5,5 jours) et les communes (- 1 jour) ont même amélioré leurs délais de paiement l’année dernière. « Les enquêtes d’opinion montrent pourtant que les dirigeants TPE/PME n’ont pas le sentiment que les délais de paiement publics baissent », a d’ailleurs pointé Alain Griset qui souhaite que les entrepreneurs fassent enfin confiance à la commande publique.

Les grandes entreprises en ligne de mire

Les raisons de ce retour à la normale tardif pourraient être ponctuelles, notamment liées à la hausse des prix de matières premières, aux difficultés d’approvisionnement. « Il est évident que ces phénomènes jouent. Ils font partie d’un ensemble d’éléments. Nous avons des problèmes de chiffrages, de devis qui ne sont plus respectés dans certains secteurs », a confirmé Jeanne-Marie Prost, présidente de l’Observatoire des paiements. Surtout que la dynamique 2019 était « bien orientée ». « Après quatre années de stabilité, on constatait une situation inédite de baisse très nette et quasi généralisée des délais de paiement », résume l’Observatoire dans son rapport.

« Plus de la moitié des grandes entreprises paient leurs fournisseurs en retard. Cette différence de dynamique n’est pas normale, elle est incompréhensible »

Mais elles seraient aussi habituelles, à chercher du côté des grandes entreprises. « Chaque année, nous constatons que les grandes entreprises continuent de sous-performer, a souligné la présidente. Leur engagement dans un processus de réduction des délais de paiement de leurs fournisseurs serait pourtant décisif pour revenir rapidement aux tendances favorables d’avant crise. »

Evolution des délais de paiement par taille d'entreprise

« Plus de la moitié des grandes entreprises paient leurs fournisseurs en retard, a de son côté soufflé Alain Griset. Leurs délais de paiement se sont dégradés de plus de 3 jours entre 2014 et 2019. Ceux des PME ont baissé d’un peu plus d’1 jour. Cette différence de dynamique n’est pas normale, elle est incompréhensible. » Si la DGCCRF a moins sanctionné en 2020 par rapport à 2018 et 2019, des amendes conséquentes allant jusqu’à 2 M€ ont tout de même été prononcées à l’égard des grandes entreprises.

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Un manque à gagner de 19 Md€

Une différence de dynamique qui s’expliquerait par « un nombre de factures à traiter largement supérieur, impliquant des circuits de traitement plus complexes et éclatés, voire en partie externalisés, pouvant prendre plus de temps », suppute l’Observatoire, lequel n’omet pas « les rapports de force qui pourraient jouer en faveur des grandes entreprises ».

« Avec Bruno Le Maire, nous attendons un sursaut des entreprises, plus particulièrement des plus grandes, à l’heure de la reprise, que ces retards soient le fruit de pratiques volontaires ou d’une coupable désinvolture organisationnelle »

Car la situation actuelle profite à ces dernières, qui ont bénéficié en 2019, grâce aux retards de paiement, d’un solde positif de 5 Md€. A contrario, les PME sont passées à côté de 19 Md€ de trésorerie du fait des retards de paiement de l’ensemble de leurs clients (autres catégories d’entreprises, particuliers, administrations, reste du monde). Les ETI ont accusé un manque à gagner de 9 Md€.

Effets en trésorerie d'une absence de retard de paiement 2019

« S’il existait une solution miracle, nous l’aurions depuis longtemps, a rappelé Alain Griset. Nous comptons sur la dématérialisation des traitements des factures et la sensibilisation de l’ensemble des chaînes de paiement. Il faut une prise de conscience : payer ses partenaires en temps et en heure doit faire partie des priorités de l’entreprise au même titre que le paiement des salariés. Avec Bruno Le Maire, nous attendons un sursaut des entreprises, plus particulièrement des plus grandes, à l’heure de la reprise, que ces retards soient le fruit de pratiques volontaires ou d’une coupable désinvolture organisationnelle », a-t-il sèchement conclu.

La cotation FIBEN tiendra bientôt compte des retards de paiement

Pour accélérer la lutte contre les retards de paiement des grandes entreprises, la Banque de France va intégrer dans sa cotation FIBEN une analyse spécifique liée aux délais de paiement. Dès 2022, sur les comptes 2021, plus de 300 000 ETI et grandes entreprises cotées entre 3++ et 4++ seront concernées.

« Le travail consiste à regarder le bilan de l’entreprise et sa situation de trésorerie. Si nous avons l’impression que la trésorerie est artificiellement et excessivement gonflée par des dettes fournisseurs, nous aurons un dialogue. Si nous en avons la conviction, nous dégraderons la cotation FIBEN. Il y aura une limite d’un cran l’an prochain », a précisé le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau.

Par ailleurs, la possibilité pour les entrepreneurs de connaître – via un nouvel outil – les références précises de leurs collectivités locales est à l’étude. « Cela comblera l’angle mort de la transparence, dans la mesure où l’observatoire des délais de paiement publie d’ores et déjà les délais de paiement de l’État, ministère par ministère », a expliqué Alain Griset.

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Matthieu Barry

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