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PME et grandes entreprises : vers une convergence fiscale ?

Dans un rapport du 19 juillet 2023 remis en conclusion des travaux d'une mission d'information sur les différentiels de fiscalité entre entreprises, la commission des finances de l'Assemblée nationale constate que le taux implicite de taxation des bénéfices des grandes entreprises est resté significativement inférieur à celui des PME ces dernières années.

PME et grandes entreprises : vers une convergence fiscale ?
L’IS et la contribution sociale des bénéfices représentaient 62,4 Md€ en 2021 en comptabilité nationale, soit 46% de la fiscalité assise sur les entreprises (hors cotisations sociales) et 86% de l’imposition de leurs bénéfices (le solde étant taxé au travers de l’impôt sur le revenu des personnes physiques). © Getty Images

Le constat dressé par la Direction générale du Trésor en 2011, le Conseil des prélèvements obligatoire (CPO) en 2017, et l’Institut des politiques publiques (IPP) en 2019 d’une fiscalité pesant plus fortement sur les petites entreprises que sur les grandes est-il toujours valable ?

C’est à cette question qu’un rapport de la commission des finances de l’Assemblée nationale déposé le 19 juillet 2023 a tenté de répondre. L’objectif était, dans un premier temps, de mesurer l’effort fiscal des entreprises et de le comparer à leur capacité contributive ainsi qu’à leur taille, pour, dans un second temps, mieux comprendre les facteurs pouvant expliquer les éventuels écarts d’imposition sur les bénéfices en fonction de la taille des entreprises, et formuler des propositions en faveur d’un équité fiscale. Pour cela, l’expertise du CPO a également été sollicitée, lequel a remis le 4 juillet 2023 à la commission des finances une étude actualisée des différentiels d’imposition en PME et grandes entreprises au regard de l’impôt sur les sociétés (IS).

Selon cette étude, le taux implicite de taxation des bénéfices était en 2015 de 17,8 % pour les grandes entreprises contre 23,7 % pour les PME ; les grandes entreprises contribuant ainsi proportionnellement moins que les PME à l’impôt sur les sociétés.

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Les facteurs d’une iniquité fiscale

Plusieurs facteurs participeraient à la réalité de ce différentiel, parmi lesquels le mécanisme de déduction des charges financières et ce malgré des effets atténués avec la mise en place d’un plafonnement depuis 2019.

Les crédits et réductions d’impôts sont également pointés du doigt, les grandes entreprises en tireraient plus facilement parti en raison de leurs capacités d’ingénierie fiscale et de l’absence de plafonnement. Particulièrement, le crédit d’impôt recherche
serait plus difficile d’accès pour les petites entreprises en raison de la complexité des démarches à effectuer pour l’obtenir.

Enfin, l’utilisation par certaines multinationales complexes de dispositifs d’optimisation, d’évitement ou d’évasion fiscale expliquerait en partie ce différentiel, même si elle est difficilement mesurable.

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Limitation des avantages tirés par les grandes entreprises

Face à ce constat, des mesures ont été prises entre 2007 et 2019 pour limiter les capacités des plus grandes entreprises à minorer leur IS. Citons notamment l’encadrement des modalités de reports des déficits, le projet BEPS, les directives DAC en matière d’échange automatique d’informations, de lutte contre le blanchiment ou d’obligations de transparence fiscale.

Parmi les mesures en faveur des PME, le bénéfice du taux réduit d’IS a été étendu.

Remarque : dans l’étude la plus récente du CPO publiée en juin 2023, l’écart de taux implicite des entreprises bénéficiaires entre les PME et les grands groupes s’est contracté à seulement 1,6 point en 2019, contre 9,9 points en 2007. 

Un écart réduit mais toujours instable

Malgré une réduction sensible de cet écart d’imposition, certains éléments pourraient le creuser de nouveau. La baisse du taux de l’IS en 2020 et 2022, a pu davantage bénéficier aux grandes entreprises qu’aux PME.  De même que la hausse des taux d’intérêt depuis 2022 avec pour conséquence l’augmentation des charges financières déductibles.

Le cadre européen au service d’une convergence fiscale ?

Dans les prochaines années, la volonté de la Commission européenne, à travers son projet BEFIT, de définir un corps unifié de règles en matière d’IS, reposant sur une assiette commune et une méthode de répartition forfaitaire des résultats devrait contribuer à faire converger encore davantage les taux implicites d’imposition des entreprises.

12 propositions pour un équité fiscale entre PME et grandes entreprises

Malgré des divergences politiques, Éric Coquerel et Jean-René Cazeneuve, rapporteurs de la mission d’information ont formulé 12 préconisations communes afin de limiter ces différentiels d’imposition et de favoriser une taxation plus juste des entreprises :

  • Proposition n° 1 : Étudier la faisabilité et la pertinence de réexaminer les plafonds de déductibilité des charges financières ;
  • Proposition n° 2 : Mener une revue des taux réduits de l’impôt sur les sociétés et évaluer leurs effets au regard des objectifs qui leur ont été assignés, dont le taux réduit applicable aux PME ;
  • Proposition n° 3 : Au regard des dernières évolutions fiscales, évaluer les effets produits par les quotes-parts de frais et charge applicables dans le cadre du régime mère-fille et le régime de l’intégration fiscale ;
  • Proposition n° 4 : Conduire une évaluation in itinere du pilier 2 et proposer au sein de l’OCDE et de l’Union européenne d’instituer des clauses de revoyure visant à adapter le taux et l’assiette de l’impôt minimum mondial ou réduire la portée des exemptions et clauses dérogatoires lui étant applicables ;
  • Proposition n° 5 : Soutenir les discussions portant, au niveau européen, sur le projet BEFIT et tout autre initiative visant à une plus grande harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, notamment pour lutter contre le dumping social et fiscal ;
  • Proposition n° 6 : Soutenir les initiatives visant à harmoniser les taux d’imposition des bénéfices au sein de l’Union européenne, notamment pour lutter contre le dumping social et fiscal ;
  • Proposition n° 7 : Renforcer la transparence fiscale des entreprises : dans le cadre de la révision de la directive 2021/2101, étendre le champ du reporting pays par pays (CBCR) public aux entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 750 millions d’euros et à l’ensemble des activités hors Union européenne des entreprises ; rendre obligatoire pour ces mêmes entreprises la publication d’une information sur la localisation des actifs incorporels de ces mêmes entreprises ;
  • Proposition n° 8 : Rendre progressivement obligatoire pour les entreprises la publication des aides publiques qu’elles perçoivent ;
  • Proposition n° 9 : Étudier la possibilité et les conditions d’un droit de contrôle des salariés renforcé concernant la politique fiscale de l’entreprise ;
  • Proposition n° 10 : Inciter ou contraindre plus fortement les entreprises françaises à enregistrer leur propriété intellectuelle sur le territoire national ;
  • Proposition n° 11 : Améliorer l’information des commissions des finances et des affaires étrangères du Sénat et de l’Assemblée nationale sur l’avancée des négociations menées par la France en matière fiscale ;
  • Proposition n° 12 : Renforcer les moyens humains et techniques du Parquet national financier, des services d’enquête et des services chargés du contrôle fiscal.

Sandy Allebe

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