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Santé au travail : les 10 commandements de l'ANI

Beaucoup de rappels, des objectifs ambitieux, quelques mesures opérationnelles, mais pas de big-bang de l'organisation. Voilà ce sur quoi ce sont accordés les partenaires sociaux qui négociaient depuis des mois sur une réforme de la santé au travail.

Santé au travail : les 10 commandements de l'ANI
L'ANI sur la santé au travail, soumis à signature jusqu’au 8 janvier 2021, vise à affirmer noir sur blanc l'importance de la prévention primaire dans notre dispositif de santé au travail. © Adobe Stock

Les partenaires sociaux se sont mis d’accord dans la nuit du 9 au 10 décembre 2020 sur un ANI (accord national interprofessionnel) sur la santé au travail. Côté patronal, le Medef et l’U2P ont donné un avis favorable et la CPME ne se prononcera que mercredi prochain. En face, la CFDT, FO et la CFE-CGC ont donné un avis favorable, la CGT un avis défavorable et la CFTC se donne encore le temps de la réflexion.

L’intitulé « accord national interprofessionnel pour une prévention renforcée et une offre renouvelée en matière de santé au travail et conditions de travail » est soumis à signature jusqu’au 8 janvier 2021. L’accord vise à affirmer noir sur blanc l’importance de la prévention primaire dans notre dispositif de santé au travail. Voilà pour l’objectif, inscrit dès la première phrase du préambule. Sa traduction concrète se voit principalement en matière de prévention de la désinsertion professionnelle et de traçabilité du risque chimique, avec quelques avancées dans ces domaines.

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L’ANI cherche aussi à encadrer davantage l’action des services de santé au travail interentreprises (SSTI). Mais il ne chamboule pas l’organisation du système français. Il est même l’occasion, pour les partenaires sociaux, de montrer leur désaccord avec le big-bang proposé par la députée LREM Charlotte Lecocq dans son rapport de 2018. Cet accord est le fruit d’une longue négociation. Les partenaires sociaux avaient échoué, en 2019, à se mettre d’accord au sein du Coct. La négociation interprofessionnelle avait ensuite été reportée pour cause de crise sanitaire avant de s’ouvrir officiellement en juin.

« Le gouvernement veillera, lors de la transcription de cet accord dans le droit du travail, au respect de son contenu et de son équilibre », a déclaré le ministère du travail. Une proposition de loi, portée par Charlotte Lecocq, doit être déposée à l’Assemblée nationale dans « les prochains jours », a rappelé la députée du Nord hier.

1. La prévention de la désinsertion professionnelle tu martèleras

Reprenant l’avis de tous les experts sur le sujet, les partenaires sociaux affirment que la prévention de la désinsertion professionnelle nécessite un repérage précoce et une meilleure collaboration entre médecins de ville, du travail et conseil. Ils appellent à systématiser la mise en œuvre des visites de reprise, de pré-reprise et demandées pour définir d’éventuels aménagements. Ils souhaitent « encourager » leur mise en œuvre et mettre en place une visite de mi carrière « pour repérer une inadéquation entre le poste de travail et l’état de santé ».

Aussi, l’accord prévoit la mise en place, au sein des SSTI (renommés SPSTI, pour prévention), de cellules de prévention de la désinsertion professionnelle. Elles existent dans certains d’entre eux mais ne sont pas obligatoires aujourd’hui. Leur but sera d’apporter des solutions personnalisées. « Dès lors qu’une situation de désinsertion professionnelle est repérée, et conformément aux recommandations de la HAS, un plan de retour au travail pourra être formalisé entre l’employeur, le salarié et la cellule PDP », prévoit l’accord.

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2. Pour mieux tracer les expositions chimiques, le document unique tu archiveras

Les moyens à mettre en œuvre pour prévenir du risque chimique ont fait débat. Des organisations syndicales ont défendu les préconisations de Paul Frimat, auteur d’un rapport sur le sujet en 2018, en vain. Le droit dit déjà qu’en matière de prévention du risque lié aux agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques, la substitution est la priorité. Les partenaires sociaux affirment qu’il faut la « favoriser », sans préciser qu’elle ne vaudrait que pour les CMR. Ils demandent de renforcer les informations disponibles sur le site Substitution CMR de l’Anses.

L’accord prévoit la conservation des versions successives du document unique pour faciliter la traçabilité : « une information synthétique pourrait être extraite » des différents documents qui traitent du sujet (fiche d’entreprises, fiches de données et de sécurité, etc.). Aussi, l’accord consacre le fameux effet cocktail : « La traçabilité collective doit permettre d’évaluer la polyexposition des salariés aux produits chimiques du fait de l’effet combiné qu’ils peuvent produire », y lit-on. De plus, les partenaires sociaux ouvrent la voie vers le suivi post professionnel. Ils n’en dessinent pas les contours.

3. Les risques psychosociaux tu reconnaîtras

L’ANI comprend une liste, présentée comme exhaustive, des risques professionnels. Les risques psychosociaux (RPS) y apparaissent bien. « Bien que les troubles psychosociaux puissent avoir des causes multiples, l’employeur se doit d’évaluer et de mettre en place les actions de prévention en regard de son champ de responsabilité, c’est-à-dire celui lié à l’activité ». Les partenaires sociaux valorisent la démarche de prévention préconisée dans le rapport Gollac.

« L’organisation du travail peut susciter certains risques notamment quand elle change rapidement : modification des méthodes de travail, changement des techniques, modification des fonctions des managers. La conduite du changement doit faire l’objet d’une attention particulière », écrivent-ils.

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4. Un passeport prévention attestant des formations en santé-sécurité des salariés tu créeras

Les partenaires sociaux proposent la création d’un passeport prévention pour tous les salariés et apprentis. Il attesterait de la réalisation de formations généralistes communes à tous et de formations plus spécifiques dont le contenu serait défini par les branches. Cela serait, d’après les partenaires sociaux, un moyen d’éviter les formations « surabondantes et parfois même redondantes ». « Face à la difficulté de certaines entreprises pour répondre à leurs obligations, une rationalisation des formations santé et sécurité au travail s’impose » lit-on dans l’accord. Côté CFTC, on met en garde : « mal surveillé, ce passeport peut être un frein à l’emploi », estime Pierre-Yves Montéléon.

5. La médecine de ville tu solliciteras

L’ANI prévoit la mise en place par le SSTI d’une liste de médecins praticiens correspondants, dits MPC. Ces médecins généralistes pourraient réaliser des visites médicales initiales, périodiques et de reprise pour les salariés qui ne font pas l’objet d’une surveillance spécifique. Le protocole encadrant cette mission reste à définir. Le financement de ces visites serait assuré par le SSTI.

Les travailleurs indépendants et les dirigeants salariés (qui ne bénéficient pas de suivi aujourd’hui) pourraient volontairement profiter d’un suivi de ces MPC. Les partenaires sociaux « conviennent de les accompagner » mais ne disent pas qui financerait ces visites.

L’accord prend la peine de rappeler les tâches qui incombent au médecin du travail (suivi individuel renforcé, visites de fin de carrière…), tout en écrivant que « la mission médicale pourrait également bénéficier de l’action des infirmiers en pratiques avancées formés dans la spécialité de santé au travail qui leur permettrait d’élargir leur périmètre de compétence ».

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6. Aux SSTI, un cahier des charges tu fixeras

« Il est important pour les entreprises qui n’ont aucune ressource interne en prévention d’être servies dans ce domaine de façon systématique et effective par les services de santé au travail et ce, dans des délais raisonnables et contraints en portant une attention toute particulière aux TPE/PME ». Les partenaires sociaux font ici référence à l’insatisfaction de certains employeurs du service rendu par les SSTI et des fréquents retards des visites médicales obligatoires. Ils veulent « moderniser » les services et « renouveler » leurs missions.

Pour cela, l’accord prévoit d’imposer une « offre socle minimale » à ces services qui doivent remplir trois grandes missions : la prévention en général, le suivi individuel des salariés et la prévention de la désinsertion professionnelle. Leurs missions sont aujourd’hui listées à l’article L4622-2 du code du travail. L’accord prévoit qu’une certification par tierce, dont le cahier des charges est élaboré paritairement, atteste du respect de cette offre socle. Elle ne remplace pas l’agrément délivré par la Direccte. Des prestations complémentaires, facturées en plus, sont possibles. C’est déjà de le cas. L’accord prévoit que la certification les encadre.

En attendant ce cahier des charges, les partenaires sociaux se sont déjà mis d’accord sur le fait que, pour répondre à sa mission de prévention, le service doit faire « une mise à jour régulière » de la fiche d’entreprise. Les services devront « conseiller » les employeurs dans la rédaction et la finalisation du document unique et du plan d’action qui en découle.

Les partenaires sociaux s’expriment en faveur d’une concurrence entre services puisqu’ils écrivent qu’ « élargir l’offre institutionnelle en santé au travail […] pour recouvrer une liberté dans le choix du service de santé au travail interentreprise ».

7. Les branches professionnelles tu mobiliseras

« La branche professionnelle est un cadre privilégié pour formaliser les grandes priorités dans le domaine de la prévention des risques professionnels ». Les partenaires sociaux « invitent » les branches à négocier des accords sur le sujet. Elles sont invitées à se doter d’une commission paritaire dédiée à la santé et à la sécurité au travail.

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8. La même organisation tu garderas…

« Nous n’avons pas été obnubilés par l’organisation », commente Jean-Luc Monteil, vice-président du Medef et co-chef de file de la délégation patronale avec Diane Deperrois. En effet, cet accord ne réforme pas vraiment le système. Il a été l’occasion pour les partenaires sociaux d’affirmer leur volonté de conserver le statut associatif des SSTI (dont le caractère paritaire est étendu). Ils inscrivent l’importance d’un « maillage territorial » et pensent qu’il faut définir une taille critique pour les services, ce qui impliquera nécessairement des fusions, déjà à l’oeuvre pour certains d’entre eux d’ailleurs.

Ils affirment, contrairement à ce que Charlotte Lecocq souhaitait, que le prélèvement des cotisations aux services par l’Urssaf n’est pas une bonne idée. Par contre, ils souhaitent harmoniser les taux en fixant une amplitude maximale de 20 %.

Il n’est pas question, comme le souhaitait le patronat, d’intégrer l’Anact à l’INRS. L’idée de séparer les missions de contrôle et de conseil des Carsat n’est plus inscrite dans le texte. Mais on lit tout de même qu’ « afin d’éviter toute confusion sur le rôle de la branche ATMP, les signataires du présent accord demandent de bien distinguer la fonction conseil du processus de majoration des cotisations qui doit rester dans le cadre paritaire des commissions de tarification ».

9. … ou presque

L’une des rares nouveautés en matière d’organisation du dispositif est la création d’un comité national de prévention santé au travail au sein du Coct et de ses équivalents régionaux au sein des Croct. Leur reviendraient, entre autres, en plus des missions actuellement dévolues au GPO (groupe permanent d’orientation), l’élaboration du cahier des charges de certification des SSTI, la définition d’indicateurs d’évaluation des services, ou encore l’évaluation de leur rapport qualité prix.

Ces instances devront promouvoir l’action en réseau, notamment pour favoriser les actions en matière de qualité de vie et conditions de travail. L’un des quatre chapitres de l’accord est dédié à cette désormais QVCT. Pour sa promotion, les partenaires sociaux conseillent de s’appuyer sur la méthode au « caractère pragmatique et progressif » de l’Anact.

10. L’obligation de moyens tu citeras

Le sujet de la responsabilité des employeurs a parasité de longues séances de négociation. Le patronat entendait inscrire dans le code du travail la jurisprudence qui a admis qu’un employeur pouvait être considéré comme ayant rempli ses obligations en matière de santé et sécurité s’il a mis en œuvre des actions de prévention. Il s’agit d’un arrêt qui a pris davantage en compte les moyens, alors qu’on parlait jusque là de stricte obligation de résultat. Cette jurisprudence n’est finalement pas à intégrer dans la loi, mais est tout de même rappelée.

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Pauline Chambost

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