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Violences conjugales : les entreprises peuvent accompagner les salariés victimes

Face aux violences conjugales, les professionnels RH sont de plus en plus nombreux à afficher leur engagement. Pour les y aider, l’ANDRH lance un guide dédié, en partenariat avec ONU Femmes France. Des entreprises pionnières témoignent, à l’occasion d’un colloque organisé par l’association le 19 octobre.

Violences conjugales : les entreprises peuvent accompagner les salariés victimes
L’ANDRH publie en collaboration avec l’ONU Femmes France le guide "Violences faites aux femmes : quels rôles pour les DRH et les managers ?". Objectif : "Offrir des outils de référence pour prodiguer aux victimes les orientations et le soutien dont elles ont besoin". © Getty Images

Longtemps considéré comme relevant de la sphère privée, le sujet des violences conjugales tend à se faire progressivement une place dans la gestion RH des entreprises. C’est en tout cas l’intime conviction d’Audrey Richard, présidente de l’ANDRH. L’association publie un guide dédié, en partenariat avec ONU Femmes France, afin de donner une « boussole de référence » à tous les professionnels RH.

« Il s’agit d’une de nos responsabilités, le rôle de l’entreprise doit évoluer. Il doit inclure la prévention et la protection des victimes. Les employeurs sont tenus d’assumer leurs responsabilités en termes de santé et de sécurité de leurs salariés car, d’une manière ou d’une autre, ils sont ou seront en contact avec une salariée victime », a-t-elle insisté, le 19 octobre, à l’occasion d’un colloque dédié à ce sujet.

Le déclic est venu pendant la crise sanitaire : « Les confinements successifs ont mis les femmes victimes de violences conjugales sous l’emprise permanente de leur partenaire violent. L’ANDRH a milité auprès du ministère du travail pour qu’elles puissent revenir dans l’entreprise, en dépit de l’absence d’autorisation ».

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213 000 femmes en moyenne victimes, chaque année, de violences physiques et/ou sexuelles

L’enjeu est d’importance : chaque année, 213 000 femmes en moyenne sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles par leur conjoint ou ex-conjoint en France. De l’avis des intervenants, il n’y a pas un profil type de victime. Le fléau touche toutes les catégories sociales et tous les secteurs d’activité. « Mais plus les femmes sont dans un milieu privilégié, plus elles ont des difficultés à s’exprimer », observe Irène Ducroizet, DRH au sein de L’Oréal, secrétaire générale de l’association Im ‘pactes et présidente de l’association des Alumni Ecole de psychologues praticiens (1). Il y a une dichotomie entre le fait d’assumer des responsabilités et d’être sous l’emprise d’un homme ».

« Il y a un sentiment de honte d’être ainsi colonisées par leur agresseur, poursuit Irène Ducroizet. Ces femmes perdent toute énergie, elles ne sentent plus capables de réfléchir, elles ne parviennent pas à prendre du recul ».

Des répercussions sur la vie professionnelle

Ce qui n’est pas sans impact sur leur vie professionnelle. Retards, absences, fatigue, manque de concentration, moindre productivité, stress… Les répercussions sur le travail sont nombreuses. De plus, les femmes qui subissent des actes de violence sont exposées à « décrocher » sur le plan professionnel.

« Elles sont fracassées mentalement, elles ne se sentent pas aptes à assumer plus de responsabilités et refusent ainsi des promotions », alerte Céline Mas.

Fonds de solidarité

Pour inverser la tendance et briser le tabou encore très présent dans le monde professionnel, quelques entreprises ont pris le sujet à bras-le-corps. Les premières initiatives ont émergé au sein de structures à majorité féminine. C’est le cas, par exemple, de Oui Care, un groupe de services à domicile, dont 94 % des 20 000 salariés sont des femmes.

L’entreprise a créé un fonds de solidarité, en 2017, alimenté chaque année par une quote-part prélevée sur les bénéfices de la société (5,1 %). Il finance des projets associatifs, des campagnes de sensibilisation, interne ou externe, et fournit une aide financière directe pour aider les femmes à quitter leur domicile (prise en charge d’une chambre d’hôtel, du loyer d’un appartement) ou payer des frais d’avocats. « On aide une cinquantaine de femmes, par an, indique Guillaume Richard, président fondateur de Oui Care. La première année, parmi 57 personnes, neuf personnes étaient des cadres ».

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E-learning et service d’assistance sociale

De son côté, le groupe Clariane (ex Korian) qui compte 92 % de femmes dans ses effectifs a lancé une campagne de sensibilisation au niveau européen et a développé des modules de e-learning de quatre heures.

Au-delà, en France, l’entreprise s’appuie sur son service d’assistance sociale. « 20 % des demandes concernent des violences domestiques, assure Mathilde Tabary, directrice des relations sociales et engagement. L’accompagnement porte majoritairement sur des aides au relogement ». Au total, 55 dossiers ont ainsi été suivis en 2022 pour cette raison.

Partenariat avec des associations spécialisées

L’Oréal connaît aussi le sujet. Le groupe de cosmétiques travaille en étroite coopération avec des associations spécialisées comme la Fondation des femmes ou encore la Fédération nationale solidarité Femmes. Il a également rejoint, en 2018, le réseau « Une femme sur trois » (2), le premier réseau européen d’entreprises engagées contre les violences faites aux femmes, à l’instar de Korian, Oui Care, BNP Paribas, la SNCF, Orange, Air France… Il est dirigé par la Fondation agir contre l’exclusion (Face) et la Fondation Kering et vise à partager les réflexions et les bonnes pratiques, mais aussi à diffuser la bonne parole en développant des outils et des programmes : guide de sensibilisation, modules de e-learning, conférences… Une charte a aussi été élaborée, pour inciter les dirigeants à faire de la prévention et de la prise en charge des violences conjugales un élément de leur politique RH.

Chez l’Oréal, le sujet est d’ailleurs abordé, chaque année, au sein du comité éthique du conseil d’administration. « Il relate le nombre d’affaires saisies, de personnes sanctionnées ou tout simplement les personnes contraintes de quitter l’entreprise », explique Irène Ducroizet.

Des initiales particulièrement bienvenues pour offrir « un cadre de travail bienveillant » et créer un « climat de sécurité ». Car il ne s’agit pas de juger, mais d’accompagner et de soutenir.

(1) Egalement intervenante du Diplôme universitaire (DU) Violences faites aux femmes de l’université Paris-8

(2) Son nom fait référence à la statistique selon laquelle une femme sur trois a expérimenté des violences physiques et/ou sexuelles au cours de sa vie.

Un guide dédié

L’ANDRH publie en collaboration avec l’ONU Femmes France le guide « Violences faites aux femmes : quels rôles pour les DRH et les managers ? ». Objectif : « Offrir des outils de référence pour prodiguer aux victimes les orientations et le soutien dont elles ont besoin ».

Au sommaire de cet ouvrage d’une trentaine de pages, disponible gratuitement sur le site de l’association (et en pièce jointe) cinq grandes thématiques : la protection des victimes, la prévention, les moyens de repérer les victimes, l’orientation et l’assistance.

S’y ajoutent des rappels juridiques, des préconisations, des coordonnées et des outils, à l’instar du « violentomètre », un outil introduit, en France, en 2018, par la mairie de Paris et l’Observatoire départemental des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, et destiné à mesurer, à travers une graduation colorée par 23 exemples de comportements types qu’un partenaire peut avoir, l’échelle des violences acceptable ou non au sein du couple.

Anne Bariet

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