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La reprise d'entreprise reprend son rythme d’avant-crise

En préservant des emplois et des savoir-faire, les reprises d’entreprise constituent un enjeu social et économique important. État des lieux des cessions d'entreprise en France devant les journalistes de l’AJPME lors d’une table-ronde dédiée « Reprise d'entreprise : qu'est-ce qui a changé depuis la pandémie ? ».

La reprise d'entreprise reprend son rythme d’avant-crise
Au total, 50 000 cessions se sont opérées en 2022, soit un niveau équivalent à 2019 mais une baisse de 12 % par rapport à 2013. © Getty Images

C’est un vrai parcours du combattant qu’a mené Damien de Charry pour reprendre en avril dernier Novex, une entreprise d’une dizaine de salariés basée dans l’Ouest parisien spécialisée dans le négoce d’accessoires de beauté et de bien-être. Un parcours de deux ans jalonnés de formations et de la constitution de cinq dossiers de reprise.

« Une transmission est un processus long d’a minima 12 à 18 mois », signale Branka Berthoumieux, responsable pôle Reprise-Transmission CCI Paris Île-de-France. Après 25 années passées dans l’industrie pharmaceutique et médicale en France et à l’étranger, le repreneur a ainsi suivi trois formations pour se former à la reprise d’entreprise : d’abord auprès de l’association Avarap, ensuite le stage « 5 jours pour reprendre » dispensé par la CCI, et une formation auprès du CRA (Cédants et Repreneurs d’Affaires).

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« Culture du secret »

Il a également rédigé cinq lettres d’intention, ce document-clé d’une douzaine de pages permettant de formaliser certains éléments fondamentaux, notamment pour clarifier et affirmer son projet avant que le cédant ne lui donne accès aux informations confidentielles de l’entreprise et que le repreneur engage un audit d’acquisition. « Je me suis constitué une équipe avec un expert-comptable et un cabinet juridique. C’est le moment où cela devient engageant financièrement pour le repreneur et où le cédant doit livrer l’ensemble des éléments sur l’entreprise, et notamment la trésorerie », explique Damien de Charry.

Du côté des cédants, « Il y a une culture du secret importante et des freins psychologiques et affectifs dans les projets de transmission qui font qu’ils se font souvent en toute confidentialité », commente Branka Berthoumieux, notamment parce que les dirigeants en question peuvent éprouver des difficultés à l’annoncer à leur écosystème et à transmettre les bilans de leur entreprise. La responsable pôle Reprise-Transmission de la CCI Paris Île-de-France insiste ainsi sur la nécessité de réfléchir à la cession de son entreprise, de l’anticiper et de la préparer un à deux ans à l’avance en s’entourant d’experts, ce d’autant plus que les entreprises ne sont « pas forcément structurées ».

« J’avais envie de sauvegarder un savoir-faire français – Martin-Pouret est le dernier vinaigrier en France –, de m’ancrer dans un territoire, d’avoir un impact sur celui-ci et de participer à la souveraineté de l’agro-alimentaire français »

Elle constate ainsi le « déséquilibre » du marché, avec d’un côté des repreneurs qui cherchent des entreprises « in bonis » – en bonne santé –, structurées de 10, 20, 30 ou 50 personnes, avec des strates intermédiaires, et de l’autre un marché caractérisé par un tissu économique d’entreprises de petite taille souvent peu structurées. Ce qui a motivé la reprise de la PME orléannaise Martin-Pouret, spécialisée dans le vinaigre et les condiments hauts de gamme (15 salariés, 1,8 million d’euros de CA) ? Le fait que ce soit une Entreprise du patrimoine Vivant historique créée en 1797.

« J’avais envie de sauvegarder un savoir-faire français – Martin-Pouret est le dernier vinaigrier en France –, de m’ancrer dans un territoire, d’avoir un impact sur celui-ci et de participer à la souveraineté de l’agro-alimentaire français », justifie son repreneur, Paul-Olivier Claudepierre. En seulement dix mois, le quarantenaire lui aussi issu des grands groupes a finalisé en septembre 2019 avec son associé la reprise de l’entreprise. Et en quatre ans, il a réussi à hisser le niveau d’activité à 5 millions d’euros pour 20 salariés et vise en 2029 10 millions d’euros de CA.

Pour Alain Tourdjman, directeur études et prospective groupe BPCE, c’est le niveau de spécificité et de savoir-faire, comme c’est le cas pour l’EPV Martin-Pouret, qui donne du sens à une reprise. « Il y a une dimension de substituabilité, indique-t-il. Si l’on peut remplacer facilement une entreprise existante par une création nouvelle, vous n’aurez pas de reprise ». « La transmissibilité d’une entreprise et ce qui lui donne de la valeur, c’est la facilité qu’elle a à se développer, c’est la récurrence, une clientèle fidèle, des ressources en internes pour être pérenne », ajoute Branka Berthoumieux.

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« Effet taille »

À l’instar de la reprise de Novex et de Martin-Pouret, quelque 6 500 PME et ETI seraient reprises chaque année en France. Entre 2013 et 2022, il y a, selon Alain Tourdjman, « une hausse particulièrement marquée » des cessions de PME de 10 à 49 salariés et « une progression tout à fait limitée » des cessions de TPE de 3 à 9 salariés. En revanche, il y a eu ainsi quasiment une division par deux des cessions d’entreprises sans salarié, estime-t-il. « Il y a un effet taille : en dessous d’un certain niveau d’économie d’échelle et de masse critique, les entreprises sont de moins en moins intéressantes et se vendent de moins en moins. Ainsi, plus la taille de l’entreprise est faible, plus il est difficile de la céder ».

Autre facteur aggravant, plus on avance dans le temps, moins il y a de transmission d’entreprise de petite taille. « Elles sont de moins en moins valorisées et attrayantes pour les acheteurs ». Autrement dit, il y a une sorte de « perte de valeur généralisée » des entreprises de petite taille. Avec, pour conséquence, la montée des valeurs moyennes des prix de cession : « on passe en 2015 de 150 000 € à 190 000 € en 2022, avec une extrême hétérogénéité des opérations », détaille Alain Tourdjman.

Sur les ETI, le directeur études et prospective reconnaît que l’approche de l’Observatoire est encore partielle : « La nature des opérations de cessions qui nous manque sont les opérations qui concernent davantage les PME et les ETI. Il est possible que notre approche aujourd’hui encore partielle nous empêche de voir qu’il y a d’autres cessions qui ont progressé sur ces catégories d’entreprise ».

« On a un problème de cession avec les entreprises industrielles – baisse de 22 % des cessions de PME manufacturières entre 2004 et 2022 – car ce sont des entreprises à forte intensité capitalistique, à rentabilité discutable dans les modèles de l’ancienne industrie »

Au total, 50 000 cessions se sont opérées en 2022, soit un niveau équivalent à 2019 mais une baisse de 12 % par rapport à 2013. « Il n’y a pas de hausse des cessions liées aux évolutions démographiques : ce n’est pas parce qu’il y a beaucoup de personnes âgées qu’il y a beaucoup de cessions », conclut Alain Tourdjman.

Dans le détail, les transmissions onéreuses étaient en 2022 au même niveau qu’en 2019 mais en baisse de 14 % par rapport à 2013 ; les transmissions familiales (près de 20 % des transmissions) très sensibles aux cycles économiques en baisse de 25 % en 2022 par rapport à 2019. Dernier cas de cession, les fusions ou opérations de restructuration, « sur une bonne dynamique » selon Branka Berthoumieux, sont quant à elles en hausse. En termes géographiques, « les zones où il y a le plus de cessions sont les zones où il y a le plus de dirigeants jeunes qui ont permis le renouvellement des générations », commente Alain Tourdjman.

Enfin, en matière de secteurs, après un fort repli pendant la crise des HCR et du commerce alimentaire en 2020-2021, on constate une remontée en 2022. En revanche le médical, l’industrie et la construction ont « très sensiblement baissé en 2022 par rapport à 2019. On a un problème de cession avec les entreprises industrielles – baisse de 22 % des cessions de PME manufacturières entre 2004 et 2022 – car ce sont des entreprises à forte intensité capitalistique, à rentabilité discutable dans les modèles de l’ancienne industrie », signale Alain Tourdjman.

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Charlotte De Saintignon

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